Animation : Miguel Couralet – Compte rendu : Miguel Couralet et Michèle Robinet.
Nous étions 14 présents pour partager notre lecture desAmants d’Avignon d’Elsa Triolet dans des discussions enthousiastes, enflammées, créatives, drôles, enrichissantes. Et comme à l’accoutumée, nous avons échangé à propos du titre de l’œuvre, des nombreux personnages, des lieux décrits, des thématiques mises en exergue dans cette nouvelle… Les Amants d’Avignon paraît le 25 octobre 1943 sous le pseudo de Laurent Daniel dans la clandestinité, aux Éditions de Minuit. La paix revenue, il sera édité avec trois autres nouvelles sous le titre Le premier accroc coûte 200 francs. Ce livre recevra le Prix Goncourt en 1945 (Première femme à être primée par ce prix prestigieux).
Que raconte cette nouvelle ?
Le récit couvre deux mois (décembre 42/février 43) Juliette Noël, jeune femme parisienne, est réfugiée à Lyon depuis l’exode avec sa tante Aline et José, petit orphelin catalan qu’elle a adopté, il y a 6 ans. Excellente secrétaire sténo- dactylo, elle travaille dans la presse. Entrée dans la Résistance, après la mort de son frère, sous le pseudonyme de Rose Toussaint, elle est agent de liaison entre Lyon, Valence et Avignon. La veille de Noël, elle doit accomplir une mission urgente laissant sa petite famille seule pour le réveillon. Elle part pour Avignon, entre en contact avec Célestin, un responsable de la Résistance. Ainsi six cheminots avignonnais échappent à la Gestapo. S’ensuit alors un jeu étrange entre Juliette et Célestin, tel un moment volé, une parenthèse heureuse dans ces vies chaotiques : ” Je vais vous proposer un jeu … On va jouer comme si on s’aimait…”. De retour à Lyon, grâce aux labyrinthes des traboules, Juliette va échapper de peu à une arrestation. Elle sera mise « au vert » et Célestin recherché par la Gestapo sera exfiltré par voie aérienne.
Le titre
Les amants se sont d’abord Louis Aragon et Elsa Triolet, un couple mythique fusionnel ayant résidé pendant la guerre à Villeneuve-lès-Avignon et aimant intensément Avignon. (Voir le poème d’Aragon in Le nouvel crève-cœur – C’est ici la ville d’Elsa) Les amants d’Avignon, ce sont aussi Pétrarque et sa passion pour Laure de Noves (voir la plaque rue du Roi René décrite par Triolet dans le roman). C’est aussi le couple qui témoigne de leurs retrouvailles au Fort Saint André en graffitant la date de leurs rencontres sur les murs ruinés du fort. Ce sont les couples d’amoureux anonymesqui se promènent dans la cité papale « que de couples immortels dans les rues de cette ville de l’amour ». C’est encore et surtout Juliette et Célestin.
Les personnages principaux
Un narrateur, plutôt une narratrice, Elsa (Elsa Triolet), qui est aussi le double de Juliette qui affirme : « On peut écrire en dehors du temps, des évènements, mais pas en dehors de son propre sort… de ce qu’on est (préface). J’ai mis les petits pieds de Juliette dans les traces de mes pas ».
Juliette Noël, alias Rose Toussaint dans la Résistance, « ravissante, sympathique, séduisante, charmante, un peu froide, secrète, élégance naturelle, une tête pour la couverture de Marie-Claire », mais somme toute, « une fille banale comme les autres. Dans la nuit et le brouillard il y avait beaucoup de filles comme Juliette ». Pourtant Juliette affronte les dangers en toute connaissance de cause se conduisant « comme si le péril était la règle habituelle de l’existence et le courage allait de soi ». Orpheline de mère, elle a été recueillie par sa tante Aline, une vieille fille, la sœur de sa mère. C’est une secrétaire sténo-dactylographe de premier ordre, » fermeté d’âme, sens du devoir ». Un premier emploi chez un avocat parisien et sans doute un premier chagrin d’amour. « Elle avait déjà rencontré Lovelace (Séducteur de roman pervers et cynique) ». Après l’exode, la famille s’installe à Lyon. Elle entre dans la Résistance par l’intermédiaire d’une collègue de travail Gérard Marie. « C’était la petite Gérard qui avait la première parlé à Juliette de la Résistance. Mais le jour où arriva la nouvelle que le frère de Juliette était tombé en Libye, la petite noiraude […] lui proposa carrément de travailler. Il y avait de ça plus d’un an… ». Tante Aline, célibataire, âgée, une mère de substitution pour Juliette, ni curieuse ni contrariante, est au courant des activités clandestines de Juliette.
José, le petit orphelin espagnol adopté, il y a six ans.
Le docteur Arnold, gynécologue chef dans la Résistance, sa femme Suzanne trouvera un lieu sûr pour cacher Juliette quand il le faudra.
Célestin, un capitaine de cavalerie d’un certain âge, un haut responsable dans la Résistance, il sera exfiltré.
Dominique, un résistant important qui apparaît à quelques reprises. Il est dénoncé par un traître et est arrêté.
Les fermiers, Les Bourgeois, en particulier, mais aussi tous les habitants de la campagne et des petites villes et hameaux traversés.
Les voyageurs : ceux du bus, des trains.
Les missions de Rose (Juliette)
Elle œuvre pour la Résistance depuis un an comme agent de liaison. Elle est consciente qu’on lui confie de rudes tâches, « Tout de même, songeait-elle, ils ont du culot de m’envoyer dans un endroit pareil ! » Elle doit identifier des planques dans les fermes aux alentours de Lyon et dans la Drôme pouvant accueillir des résistants, des parachutistes alliés. Elle relaie les informations, transmet aussi divers documents dont des cartes alimentaires, relève les boîtes aux lettres… Son arrestation : Arrêtée à Lyon, Juliette échappe à la surveillance des deux policiers allemands qui veulent l’utiliser pour piéger Célestin. Ils sont bien renseignés (suite à une trahison) : Ils connaissent le prénom de l’homme, ils savent que Juliette l’a attendu à la gare, qu’elle est allée avec lui à l’hôtel. Sa course dans le labyrinthe des traboules lui permet de semer ses poursuivants.
Les lieux
La ferme abandonnée et en ruine (c’est le souvenir de la maison le Ciel (Comps, près de Dieulefit où le couple Aragon/Triolet vécut caché.)
La campagne enneigée : description poétique : odeur, couleur… « Cela sentait bon la neige comme une armoire à linge » « Les cônes de montagne se chevauchaient les uns les autres, blancs sous la lune très haute, avec autour d’elle une immense alliance d’or… »
Les fermes, celle des Bourgeois, en particulier – représentation de la vie rurale, simple et besogneuse.
Avignon, la venteuse, « ville aux grands murs, s’étirant vers le ciel », le Palais des Papes « Ils montèrent vers cet A majuscule d’Avignon, qu’est le palais des Papes », rue des Teinturiers, la chapelle des Pénitents noirs de la Miséricorde et sa légende, le quartier de la Balance (voir sur internet plusieurs photos de ce quartier dans les années 40 cela donne un bel aperçu de la balade de Célestin et Juliette), le quartier des gitans à cette époque.
la demeure cossue de Célestin à Avignon, une vieille demeure, un hôtel particulier, certainement près du Palais des Papes, avec tapis, draperies, tableaux, baies gothiques, meubles de style, portes sculptées, grande cheminée…
Le Fort Saint André, « Les deux tours de l’entrée, énormes jumelles pour astronomes géant » avec les graffitis ceux des prisonniers enfermés en ces lieux, ceux des amoureux.
Lyon, la ville des soyeux, des canuts, une ville mal aimée, voir détestée« Une ville noire et boueuse, ville pesante et fermée Que pouvait-on y aimer, dans cette ville ? » De toute évidence, Juliette, la parisienne, fait preuve de chauvinisme, elle compare souvent Paris à Lyon, et ce qu’elle en dit ne souffre aucune comparaison. « Juliette allait jusqu’à pendre en grippe ceux qui prétendaient se plaire à Lyon… ». Elle finira par aimer l’ancienne capitale des Gaules.
Les traboules qui lui permettent de s’échapper. (On découvre le verbe trabouler)
A Valence, un restaurant avec deux hommes qui jouent aux cartes évoquant le tableau de Cézanne.
Une chronique lucide de la Résistance romancée
Une époque qui met à nu la véritable nature des individus, qui révèle des possibilités insoupçonnées pour quelques-uns, un hommage à ces gens ordinaires, voire insignifiants, qui, refusant les compromissions et le confort d’une prudente inertie, qui deviennent alors chefs de maquis, agents de liaison. Ces héros de l’ombre accomplissent leur “devoir” sans ostentation, ni orgueil, mais prennent des trains dans lesquels ils se sustentent d’un sandwich au mauvais saucisson, se déplacent à bicyclette, font de longues marches dans la neige, sous la pluie, pour apporter une contribution discrète mais indispensable, reposant sur un vaste réseau de solidarité et de confiance…
Le quotidien : Les difficultés matérielles et existentielles durant la guerre sontdécrites avec réalisme.
Un quotidien désespérant, navrant, dans lequel il faut bien continuer à vivre et tenter de conserver une certaine liberté : la prolifération de soldats allemands, les restrictions, les voyages difficiles (retards, trains surchargés, wagons réservés aux occupants, « Nur für die Wehrmacht » …), la peur, la faim, le froid, le courage à affronter quotidiennement ceux qui soutiennent ouvertement l’occupant, ceux qui osent quelques paroles d’opposition.
Le cinéma où l’on peut se réfugier, se chauffer le temps d’une séance, la musique avant la séance, à l’entracte. Les journaux tel Le dimanche illustré. Noël, qu’on célèbre comme on peut : les vitrines de Noël décorées avec ce qu’on a avec « Les boîtes de Nab étaient entortillées de cheveux d’anges ». Les partitions de chanson, succès très populaires de l’époque vendues dans la rue et dans les magasins.
L’amour et le jeu de l’amour propose par Juliette
Nous avons débattu longuement autour de ce thème !
Juliette à Célestin : « Je vais vous proposer un jeu… On va jouer comme si on s’aimait » –
Célestin, d’abord retissant« Je ne suis pas très sûr de savoir jouer… ». Peur des conséquences, du ridicule, de tomber effectivement amoureux, d’avoir passé l’âge pour un tel jeu ? Épris d’une autre femme ?
Juliette : « J’en ai besoin » (besoin d’amour après une expérience malheureuse, besoin d’une pause dans la tourmente de la guerre, une parenthèse pour oublier le danger …)
Puis Célestin se laisse convaincre, : « A vous Juliette qui, dès maintenant êtes mon amour … Parce que je vous aime » mais pour se dédouaner, ne pas trop glisser dans la comédie il ajoute « et que je suis un peu saoul ».
Juliette « Ah dit Juliette, je vous aime… Je vous aime, je ne veux pas vous perdre… »
Célestin sembleassumer son rôle dans ce jeu, puis ellipse, nous ignorons si Juliette et Célestin se sont connus au sens biblique du terme …
Lors de nos discussions certains, ont considéré que l’amour était resté platonique, pour d’autres, non. Quelle importance finalement ! Le mystère demeure et donne au roman une dimension intéressante et spirituelle.
Le style du roman
Une plume forte, poétique, une écriture pleine d’émotions, spontanée, descriptive, réaliste (le quotidien de la guerre est décrit avec une vérité crue). L’écriture d’Elsa Triolet va au rythme de son héroïne : rapide, sans apprêt, à la « lis-la comme elle court ». Triolet s’exprime souvent par ellipses. Ce sont peut-être ces caractéristiques qui ont rendu la lecture, quelque fois difficile pour certains. Dans presque tous les ouvrages narratifs d’Elsa Triolet, celui-ci en particulier, on trouve une description attentive des caractères féminins avec leurs existences individuelles, marquées par leur sexe. Une description attentive et affectueuse de Juliette, une ode au féminisme.
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Ce fut une belle soirée culturelle conviviale. Merci à vous tous.
Pour aller plus loin : Biographie d’Elsa Triolet chez Flammarion d’Huguette Bouchardeau 2001 et le livre de Nelcya Delanoë D’une petite rafle provençale Seuil 2013
Animation : Miguel Couralet / Compte rendu : Michèle Robinet et Miguel Couralet.
Nous étions dix pour ce nouveau club de lecture printanier, nous avons accueilli deux nouveaux venus Myriam et Loïc. Nous avons tous présenté un livre.
Solange : Le ciel ouvert – Nicolas Mathieu – Actes Sud
Un recueil de textes publiés au fil des années sur Instagram, illustré par Aline Zalko, graphisme et couleurs qui donnent du sens au récit. Trois parties qui égrènent un kaléidoscope de vie intime : joies, détresse, des fragments de vie où chacun peut se retrouver :
– Une partie consacrée à une histoire d’amour fou, passion clandestine partagée avec la femme aimée qui n’est pas libre,
– Celle de l’amour du père pour son enfant, un père célibataire qui élève son fils
– Celle où l’écrivain est spectateur de la déchéance de son vieux père.
Ce livre magnifique est un petit chef d’œuvre de délicatesse, de tendresse, de poésie. Pour Solange un grand moment de bonheu
Jacky : Le rêve du pêcheur – Hemley Boum – Gallimard
Jacky lit depuis de nombreuses années de la littérature d’auteurs africains, il en est devenu spécialiste. Ce roman retrace quelque peu une situation vécue par un de ses amis originaire de ce continent où la famille est avant tout un clan avec de grandes valeurs communautaires.
Zacharias, pêcheur comme ses ancêtres, vit dans le petit village de Campo, une vie tranquille avec sa femme Yalana et ses enfants. Du jour au lendemain, il voit son mode de vie traditionnel bouleversé par l’arrivée d’une compagnie d’exploitation forestière qui crée une coopérative de pêcheurs. Alors tout cela est riche de belles promesses et le père de famille se prend à rêver d’un autre avenir pour les siens. Mais les illusions s’effritent, les dettes s’accumulent et l’équilibre familial va être irrémédiablement rompu. Sa fille Dorothée perd son mari dans des circonstances troubles, son petit-fils devient orphelin de père … Quelques décennies plus tard, Zachary, le petit fils, dix-huit ans, après « une grosse bêtise », fuit le Cameroun abandonnant sa mère à son sort et à ses secrets. Devenu psychologue clinicien à Paris, marié, père de famille, il a cru au miracle, mais son passé le rattrape.Avec ces deux histoires savamment entrelacées, la romancière camerounaise Hemley Boum signe magistralement une fresque familiale puissante, poétique qui se poursuit sur plusieurs générations, qui aborde de nombreux thèmes : les traumatismes de l’expatriation, l’intégration, le racisme, la recherche identitaire, les effets pervers de la mondialisation… éclairant à la fois les replis de la conscience et les mystères de la transmission. Le roman, une alternance de chapitres évoquant le présent et le passé, commence et finit à l’extrême sud du pays, à l’embouchure du fleuve Ntem, cadre ambivalent et métaphore de l’intrigue.
Un très beau roman lumineux, bouleversant, authentique qui fait sens.
Christian : Une fleur qui ne fleurit pas – Maria Messina – Cambourakis
Encore un roman d’une autrice italienne dont Christian, nous donne quelques éléments biographiques : Maria Messina est née à Palerme en 188, elle décède à Pistoia en 1944. A travers ses nouvelles et ses romans elle s’est attachée à mettre en scène l’oppression des femmes italiennes, plus particulièrement celles de Sicile, sa région natale. Atteinte d’une sclérose en plaque, elle cesse d’écrire en 1928, à 41 ans, seize ans avant sa mort. Maria Messina connaît une certaine notoriété de son vivant mais sa renommée commence à faiblir dès qu’elle cesse de publier. Elle sort de l’ombre dans la décennie 80, depuis lors, plusieurs de ses œuvres sont rééditées.
Une fleur qui ne fleurit pas – un fiori non fiori, a été édité en Italie 1923, réédité en France en 2022.
Aux alentours des années 1920, Franca rencontre Stefano à Florence. Franca, une jeune fille en fleur pétillante, ose la modernité sociale et vestimentaire qu’elle affiche dans son indépendance, sa coupe de cheveux, ses habits. Mais cet avant-gardisme n’est pas apprécié par la société conservatrice de l’Italie du début du XXème siècle. Il faut choisir de se fondre, d’accepter le poids de la tradition, se soumettre ou devoir renoncer au mariage, à l’amour, à une vie de famille différente de celle vécue par ses aïeules. Franca renoncera progressivement à son amour, elle se sacrifiera, se flétrira.
L’histoire tragique et bouleversante de Franca est attachante, l’écriture est fine, élégante, ce roman traduit parfaitement les choix impossibles pour les femmes en Italie, à cette époque, le poids de la société, un sujet, hélas, d’une actualité brûlante ces derniers jours.
Isabelle : Comment ça va pas ? Conversations après le 7 octobre – DelphineHorvilleur – Grasset
Après les attentats perpétrés par le Hamas le 7 octobre 2023 en Israël, Delphine Horvilleur voit son monde s’effondrer (Elle est rabbin). Elle dont la mission consiste à porter la souffrance des autres sur ses épaules, à la rendre moins lourde par ses mots, à consoler, se retrouve piégée, traumatisée par les fantômes ressuscités de la Shoah, ravagée, en état de sidération, impuissante, insomniaque et aphasique. Pour tenter de reprendre pied, elle rédige dix conversations réelles ou imaginaires où elle convoque la petite fille qu’elle était, la femme qu’elle est devenue, la mère, la juive qu’elle est. Par cette écriture, parce que la littérature nous aide souvent à traverser les périodes dramatiques, pour atténuer son mal être, elle tente de trouver des réponses, du sens au non-sens. Aussi pour soulager le traumatisme transgénérationnels amplifié par des siècles et des siècles de douleurs, elle s’interroge sur les ressorts de la haine, les difficultés à gérer les « mais ». Elle s’exprime avec la sincérité qui la caractérise, la gravité de ses propos se teinte d’un léger humour nécessaire ici pour tenter d’édulcorer la douleur.
Myriam : L’attente du soir – Tatiana Arfel – Corti
Dans ce livre, l’autrice donne la parole à ceux qui ne l’ont pas. Elle met en scène trois marginaux, trois atypiques, cabossés par la vie dont elle raconte le parcours :
-Giacomo, le vieux clown blanc, directeur d’un petit cirque, dresseur de caniches, dont la vocation est de faire rêver, c’est un compositeur de symphonies parfumées, épris de liberté,
– Une dame grise « hors normes » mal aimée par sa famille, mal aimée par la vie, qui s’épanche dans les chiffres, les tables de multiplication,
-Un enfant sauvage, sans langage, abandonné au milieu des détritus d’ordures, fasciné par les couleurs. Il dessine faute de savoir écrire.
Le destin va faire se rencontrer ces trois solitaires, ils vont s’écouter, et ainsi s’aider à se reconstruire. L’autrice, psychologue de formation, s’intériorise dans ses personnages.
L’écriture est poétique, vibrante, le récit magistral, prenant, sensible, magique.
Daniel : Shakespeare, Le Guépard– Giuseppe Tomasi di Lampedusa.
Giuseppe Tomasi, prince de Lampedusa, duc de Palma, baron de Montechiaro et de la Torretta, grand d’Espagne de première classe, est un gentilhomme sicilien et un écrivain italien.
Il est l’auteur d’un roman unique “Le Guépard, publié à titre posthume (1958).
Tomasi di Lampedusa, ne fut jamais un universitaire, mais sa grande culture et sa parfaite connaissance du français et de l’anglais l’amenèrent à donner des causeries devant un cercle d’intimes, principalement sur la littérature anglaise. Ce recueil consacré à Shakespeare en est tiré.
Dans une présentation originale, Daniel, qui nous a lu quelques passages du Guépard et du livret Shakespeare, qui mettent en évidence les similitudes de l’écriture de Guiseppe Tomas dans ces deux œuvres, sa grande culture, une plume spirituelle qui raconte avec une liberté de ton, humour, et sensibilité, drames et comédies en observant avec beaucoup d’acuité la société et les rituels sociaux. Manifestement l’auteur du Guépard avait une grande sensibilité à la thématique et à la poésie shakespearienne.
Loïc : Les enfants oubliés d’Hitler –Ingrid Von Oelhafen– Fayard
Durant la Seconde Guerre mondiale, plusieurs dizaines de milliers d’enfants dont lescaractéristiques physiques correspondaient au type aryen pour fabriquer les maîtres de demain : blond, yeux bleus, teint clair, furent arrachés, kidnappés à leurs parents dans les pays et territoires conquis et occupés pour être placés dans un Lebensborn (fontaine de vie)ou confiés à des familles nazies. C’est ce qui est arrivé à Ingrid von Oelhafen. Victime de cette atrocité. Plus tard, quand elle découvrira qu’elle est une enfant adoptée, elle partira à la quête de ses origines. Une démarche, une enquête de plus de trente ans, qui tentera de lui permettre de comprendre les mauvaises relations avec ses parents adoptifs, notamment sa mère de substitution, mal aimante, ses difficultés personnelles, ses traumatismes, ses choix de vie, ses attirances avec d’autres adultes qui connurent le même sort.
Quand Ingrid retrouve enfin le village où elle est née, une révélation plus dure encore l’attend.
Un récit personnel émouvant, un témoignage historique saisissant sur ce programme nazi terrifiant qui reste encore peu connu.
Béatrice : En vérité – Typhanie Tavernier- Sabine Wespieser
C’est d’une femme (Alice) totalement sous l’emprise d’un époux très toxique. Une femme complètement perdue mais qui ne perçoit pas la maltraitance de son mari. Le lecteur est percuté par cette situation, s’en révolte, a envie de secouer Alice, la faire réagir.
Sa vie changera-t-elle quand elle répond à une offre d’emploi ? : « L’association diocésaine de Paris recrute un(e) assistant(e) pour le promotorat des causes des saints. », Sans aucune qualification, elle est pourtant recrutée. Entourée de collègues bienveillants, elle va alors être confrontée à la complexité sidérante de la procédure de canonisation bien compliquée.
Un roman déconcertant, qui a laissé Béatrice sur sa faim mais qui vaut , quand même assure-t-elle, d’être lu.
Michèle : Si le soleil s’en souvient – Jean-Paul Enthoven – Grasset
Ce récit est en quelque sorte la confession d’un homme qui retrouve ses racines, les vraies, loin des contraintes germanopratines. A 75 ans, Jean-Paul Enthoven tombe le masque sur ses origines, une jeunesse sculptée par le soleil et la mer de son pays natal, sur fonds de guerre, dans les derniers soubresauts de l’Algérie française. Ici, lessouvenirs lumineux, quelques peu enjolivés, douloureux, émouvants osent enfin se dévoiler, pour composer une autobiographique où vérité solaire et fiction ténébreuse se croisent. Voilà ce qu’en dit l’auteur :
– « Quel sera le taux de menteries dans les affirmations, insinuations, divagations ici contenues… – Tout est ici, et sera vrai… C’est à dire presque vrai, très vraisemblablement, nuancé, historiquement avéré, hypothétique, à peine rectifié à la marge… Au départ, j’envisageais un tiers d’exactitudes, un tiers d’exactitudes malmenées par le temps, un tiers de mensonges rigoureusement véridiques […] mais, à chacun de ces tiers, se sont ajoutées des sous-divisions réservées à l’imagination, à l’énergie narrative, à la nostalgie, à l’accentuation dramatique, à la mémoire vaniteuse ou volontairement dépréciative, à la volonté de prendre une revanche sur une réalité insuffisante. »
Le père, Edmond, grand propriétaire terrien, décide, en 1960 de construire un cinéma d’avant-garde dans sa petite ville Mascara, à quelques cent kilomètres de la préfecture Oran. Pour l’inauguration c’est Moby Dick de John Huston, film de 1956, d’après le roman éponyme d’Herman Melvillequi sera projeté. Ce choix n’est pas anodin, l’acteur principal qui incarne le capitaine Achab est interprété par Gregory Peck, Edmond en est un sosie presque parfait. La lutte entre le capitaine Achab et le cachalot blanc, symbolise celle du Bien contre le Mal, l’absurde et la révolte, et après tout, aussi, quelque part, l’histoire de l’Algérie.
Le drame qui marque l’inauguration de cette salle de spectacle n’est qu’un évènement de plus dans cette guerre pour l’Indépendance de l’Algérie, un parmi tant d’autres qui poussera la famille
Enthoven à l’exil. Ce film distingué par Jean-Paul Enthovenl’ était aussi par le fait de vouloir rendre hommage à Albert Camus, dont le fantôme sympathique vient hanter quelques passages du livre. Lecture émouvante , une nostalgie se dégage de ces lignes avec un l’humour acéré qui cache bien des choses : la part de courage de l’écrivain pour affronter de façon romancée ses souvenirs, pour « assumer cette part de moi que j’ai vainement tenté d’expulser, me réconciliant avec tout le tintamarre d’une enfance […]”
Miguel : Le mage du Kremlin – Giuliano da Empoli – Gallimard
Voilà un livre choc que la presque totalité des participants au club lecture avaient déjà lu. Tous ont indiqué combien ce livre était important pour comprendre ce qui nous arrive dans un contexte de montée des tensions extrêmes sur notre continent.
Ce livre parfaitement bien écrit et très documenté raconte de façon romanesque la rencontre de l’auteur avec Vadim Baranov (en réalité Vladislav Sourkov) qui homme de spectacle et de télévision va devenir pendant plus de 10 ans le conseiller le plus proche de Vladimir Poutine.
Baranov se livre totalement et raconte comment il a accompagné Poutine dans la prise de pouvoir et la volonté de celui-ci de remettre de l’ordre et de l’autorité (verticalité dit-il) dans une Russie en déshérence après les années Boris Eltsine.
On vit au fil des pages, de l’intérieur la façon dont Poutine a construit avec grand cynisme son personnage puis son autorité de fer avec sa volonté de déstabiliser l’occident. Pour rendre l’honneur à la Russie.
C’est glaçant de réalisme et éclaire tous les événements actuels (guerre en Ukraine, agressions sur les réseaux sociaux, désinformation, liquidation des opposants…)
Écrit avant l’invasion de l’Ukraine, tout dans ce roman est prémonitoire et invite à une profonde réflexion sur la nature du pouvoir et de l’autorité. Démocratie, dictature, risques d’affrontements, rôle des nouvelles technologies…tout y est. Après avoir lu le livre on ne voit plus les choses comme avant.
Les membres du club littéraire auraient aimé que le prix Goncourt 2022 soit attribué à ce roman (il a tout de même eu le prix de l’Académie française). Cela n’a pas empêché que ce livre soit en tête des ventes dans les librairies. Vite si vous n’avez pas lu le livre, lisez-le, on en reparle !
José : Différends – Frans de Waal- Les liens qui libèrent
Ce livre, paru en 2022, a été choisi par José pour rendre hommage à Franciscus Bernardus Maria de Waal, plus connu sous le nom de Frans de Waal, un primatologue et éthologue néerlandais né le 29 octobre 1948 à Bois-le-Duc, qui vient de décéder à 75 ans, le 14 mars 2024 à Atlanta.
Ce livre est un vibrant manifeste pour l’égalité des genres. Pour établir si les préférences et les comportements humains que nous qualifions parfois de genrés ont une origine biologique, Frans de Waal les compare avec ceux d’autres primates, non affectés par nos biais culturels.
C’est un récit passionnant, riche, complet sur la vie sociale des singes, Chimpanzés, Bonobos et Gorilles, qui ébranle certaines vérités sur la masculinité et la féminité, l’autorité, le pouvoir, la coopération, la compétition, les liens filiaux et les comportements sexuels. De nombreuses questions donc, assorties de réponses pertinentes, claires, argumentées, nuancées et s’il ne conteste pas l’existence de différences entre les sexes, le scientifique affirme qu’il n’y a rien de « naturel » à ce que les hommes exercent une domination et que la biologie ne permet pas de les expliquer.
Ce club lecture était dédié à la Journée des droits de la Femme. Une magnifique soirée ! Les onze livres présentés ont mis en évidence, chacun à leur manière, le combat des femmes pour plus de liberté, de justice, d’égalité ains que leur rôle dans la société.
Livres présentés Animation : Marlies / Compte rendu : Miguel Couralet et Michèle Robinet.
Miguel : Une farouche liberté, Gisèle Halimi, la cause des femmes – Annick Cojean – Steinkis Cette biographique graphique raconte la vie et les multiples combats de Zeiza Gisèle Élise Taïeb qui deviendra la célèbre avocate féministe Gisèle Halimi (1927-2020). Elle naît en Tunisie à La Goulette dans une famille juive séfarade. Sa mère ne l’aime pas alors que le père éprouve une grande affection pour sa fille. Très tôt, elle se rebelle pour une juste cause : ne plus être dans l’obligation servile de servir ses frères et pouvoir lire à sa guise. Premiers combats gagnés grâce à une grève de la faim. Elle devient bachelière, refuse à quinze ans un mariage arrangé, obtient l’autorisation de poursuivre ses études en France. Ce sera le droit, pour réaliser sa vocation, être avocate. Quand elle doit prêter serment en déclarant qu’elle défendra les bonnes mœurs selon la formule consacrée, elle annonce refuser de prononcer ces mots mais doit se plier à cette obligation bien à regret. Elle en fera un cheval de bataille, plus tard, cette mention sera supprimée. Un premier mariage de courte durée, un second dont elle conservera le patronyme de son époux Halimi. Elle se remarie une troisième fois avec Claude Faux, secrétaire de Jean-Paul Sartre. Il sera son grand soutien. Gisèle Halimi, c’est soixante-dix ans de lutte acharnée, de combats indéfectibles, de passions, d’engagements au service de la justice, pour faire évoluer les droits, pour les femmes, les faibles, les opprimés : elle défendra les indépendantistes tunisiens et algériens (militants du FLN), elle combattra, souvent aux côtés de Robert Badinter, pour la liberté sexuelle, celle des femmes (droit aux contraceptifs, à l’avortement et pour une répression du viol plus forte…), celle des homosexuels (Loi Forni ), la parité politique, la dépénalisation de la peine de mort… Une BD instructive qui a du sens. A lire et à offrir sans modération…
Isabelle : Le mythe de la virilité- Olivia Gazalé – Robert Laffont Avec une forte détermination Isabelle a présenté un livre choc : Le malaise masculin ressenti par certains, pour réel qu’il soit, ne vient pas de la révolution féministe, si récente dans l’histoire de l’humanité, mais de celle qu’Olivia Gazalé (philosophe, essayiste) appelle « la révolution viriarcale » Cette révolution a mis fin au monde mixte qui a débuté entre le 3ème et le 1er millénaire avant J.C., un monde tant oublié, où les femmes avaient des droits et des libertés et où le féminin était respecté et même divinisé. Pour asseoir sa domination sur le sexe féminin, l’homme a alors théorisé sa supériorité en construisant le mythe de la virilité qui a ainsi légitimé la minoration de la femme et l’oppression de l’homme par l’homme. L’idée centrale de cette domination est que la nature a créé deux pôles diamétralement opposés : la femme par nature fragile, passive, irrationnelle, soumise et l’homme naturellement fort, courageux, volontaire, dominateur. Le mythe de la supériorité mâle est devenu le fondement de l’ordre social, politique, religieux, économique et sexuel, en valorisant la force, le goût du pouvoir, l’appétit de conquête et l’instinct guerrier. Les injonctions sexistes telles « Sois un homme, mon fils » (Rudyard Kipling), « Arrête de pleurer »…, qui entourent la virilité montrent que celle-ci n’est pas innée, mais construite, elles asservissent les femmes, mais condamnent aussi l’homme à réprimer ses émotions, à redouter l’impuissance et à honnir l’effémination, tout en cultivant le goût de la violence et de la mort héroïque. Ainsi, l’homme s’est piégé lui-même en devant sans cesse prouver sa puissance, sa réussite sous peine d’être méprisé ou moqué en raison de son manque de virilité. Pas de supériorité possible sans un autre inférieur à mépriser ou humilier. Olivia Gazalé conclut que le modèle traditionnel de virilité est un modèle d’exclusion et de ségrégation. La solution ? Elle ne peut venir que d’un changement de regard et plus radicalement de la déconstruction des stéréotypes de ce système de domination tant du côté du dominant que du dominé car tous deux y sont intimement liés. Un travail à mener conjointement entre les deux sexes. C’est un essai, dense, foisonnant avec de nombreuses références étymologiques intéressantes, superbement présenté par Isabelle.
Olivier : Le Blé en herbe – Colette- Flammarion Colette est une écrivaine très prisée par Olivier. Une femme moderne qui a su acquérir son indépendance financière, sa liberté de vie par son travail d’écriture et ses différents métiers. Publié en 1923, ce roman s’impose par son audace et son anticonformisme. Philippe, Phil, 16 ans, et Vinca, 15 ans, sont amis depuis l’enfance, ils se retrouvent tous les ans, lors des vacances en Bretagne dans une maison qui abritait jusqu’alors leurs jeux, leur insouciance, leur complicité. Mais, cette année, l’enfance disparaît laissant place à l’adolescence et à la découverte de la sexualité et de la sensualité. Phil va avoir une première expérience charnelle avec une femme séduisante bien plus âgée que lui. Vinca devinera tout et pour sauver Phil, tenté par le suicide, se donnera à lui. Elle deviendra femme. A partir de 1921, Colette, la quarantaine, va vivre une relation jugée scandaleuse avec son beau-fils, Bertrand de Jouvenel, seize ans, l’âge de Phil, alors que de son côté, son mari la trompe sans complexe. Cette relation qui dure cinq années lui inspire le roman, en nourrit les thèmes et les situations. Le Blé en herbe c’est un hymne à la femme, celle que devient Vinca, à sa sensibilité délicate, à sa générosité. C’est écrit avec pudeur, nuance, subtilité. Olivier nous invite aussi à lire ou relire La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges, l’une des pionnières françaises du féminisme.
Sarah : On arrive dans la nuit –Marceline Loridan-Ivens – Flammarion Le 13 février 1944, Marceline, née en 1928, adolescente, frondeuse, une tornade rousse, est arrêtée avec son père, dans leur maison du Vaucluse à Bollène. Emprisonnée ( elle le sera dans un premier temps à Avignon dans la prison Ste Anne) elle sera déportée d’abord à Auschwitz, puis à Bergen-Belsen et Theresienstadt. Arrivée dans la nuit par le même convoi que Simone Veil, dont elle devient l’amie, elle connaît la barbarie, la faim, l’angoisse, les travaux forcés, les cadavres qui s’entassent… Dans ce témoignage recueilli à l’initiative de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah et de l’INA, en 2005, Marceline Loridan-Ivens raconte son quotidien inhumain dans les camps, les souffrances individuelles, collectives où chaque journée passée est un jour volé à la mort. Un petit bout de femme, mais au caractère bien trempé qui fera tout pour paraître plus grande et plus âgée afin d’échapper à la chambre à gaz. Libérée à la fin de la guerre elle ne cessera de témoigner sur les évènements vécus, dire l’indicible horreur, combattre l’antisémitisme toujours vivace. Elle refusera d’être mère ne voulant pas que ses futurs enfants revivent le drame qu’elle vécut et qu’elle estime devoir inexorablement se reproduire. C’est un récit sincère, un témoignage poignant sans langue de bois, c’est une lecture émouvante.
Laurence : Trencadis – Caroline Deyns- Quidam Une biographie romancée, une sorte de documentaire original de Niki de Saint Phalle. Le livre est fait d’éclats de vie, de fragments assemblés racontés par Caroline Deyns, avec un style percutant et foisonnant avec ses amours, ses failles, son art, comme un trencadis (espagnol trencar : briser, du catalan facile à briser), un type de mosaïque à base d’éclats de céramique, souvent recyclé, typique de l’architecture moderniste catalane, cher à Antonio Gaudi et Joseph Maria Jujol. Des morceaux de vie, des tesselles de chaos et de bonheur, celles d’une femme ardente, d’une artiste remarquable, iconoclaste, complexe, insoumise, originale, marginale féminine et féministe. Un récit qui permet de mieux comprendre, dans le désordre, son talent coloré, ses gigantesques nanas callipyges, ses traumatismes venus de l’enfance (le viol par son père à 11 ans), sa profonde dépression, ses tentatives de suicide, ses prises de risque, ses engagements pour le droit des noirs américains, la libération des femmes du patriarcat, son militantisme au sein de l’association AIDES. Une présentation puissante, atypique, une plume ciselée. Une belle réussite parfaitement racontée par Laurence très enthousiaste.
Didier : L ‘œuvre de dieu, la part du diable –John Irving- Seuil En préambule, Didier tient à remercier Christian de lui avoir fait connaître l’écrivain italien Erri de Luca dont il avait été question lors du club de lecture précédent. Avec John Irving, nous nous trouvons immergés dans le Maine, dans les années 1930/1950. Wilbur Larch, gynécologue gère un orphelinat et doit se livrer à une double mission : mettre au monde des enfants qui seront abandonnés, de futurs orphelins, c’est ” l’œuvre de Dieu ” et interrompre, en toute illégalité, des grossesses non désirées, c’est ” la part du Diable ». Il se prendra d’affection pour un jeune orphelin, Homer, qui grandira dans ce centre, faute de trouver une famille d’accueil. Il deviendra médecin accoucheur, opposé à l’avortement. Pour lui, les femmes devraient avoir le choix d’avorter ou non, mais lui a le choix de refuser de le faire lui-même. Didier nous lit un passage mettant en exergue ce dilemme :
« Si l’avortement était légal, tu pourrais te permettre de refuser – en fait, étant donné tes convictions, tu devrais refuser. Mais tant que l’avortement est illégal, comment peux-tu dire non ? Comment peux-tu te permettre un choix en la matière, alors que tant de femmes n’ont pas la liberté de choisir elles-mêmes ? Les femmes n’ont aucun choix. Je sais que tu estimes cela injuste, mais comment peux-tu – surtout toi, avec ton expérience -, comment peux-tu te sentir libre de refuser d’aider des êtres humains qui ne sont pas eux-mêmes libres d’obtenir d’autre aide que la tienne ? Il faut que tu les aides parce que tu sais comment les aider. Demande-toi qui les aidera si tu refuses. »
John irving, sans prendre parti pour ou contre l’avortement, nous invite à réfléchir sur les positions des deux camps. D’un côté, le Docteur Larch incarne le docteur désirant avant tout respecter son serment : protéger, soigner, ce qui pour lui revient également à mettre fin à des grossesses non désirées… de l’autre, Homer Wells, pour qui fœtus rime avec être vivant. Un gros roman, plus de 800 pages, qui parle d’amour, raconté avec émotion, humour. Un sujet d’une brûlante actualité. Un livre qui a passionné Didier.
Claude : les cellules buissonnantes- Lise Barnéoud – PREMIER PARALLÈLE Claude nous a présenté un livre surprenant que lui avaient conseillé nos libraires. Lise Barnéoud est une journaliste scientifique qui collabore régulièrement au Monde, à Science vie... Nous sommes tous des chimères ! (en biologie, organisme constitué de deux ou plus rarement de plusieurs variétés de cellules ayant des origines génétiques différentes) Lorsque nous étions, fœtus, dans le ventre de notre mère, à une échelle plus ou moins importante, se sont échangées des cellules entières entre elle et nous. Si elle a reçu de notre part des cellules elle nous a potentiellement transmis non seulement les siennes, mais aussi celles qu’elle avait peut-être reçues de sa mère, grand-mère, aïeule plus lointaine ou d’un fœtus précédemment. Ce phénomène biologique révolutionnaire est appelé microchimérisme et vient bousculer les limites de l’individu. Dans certains cas, ces cellules « étrangères » qui passent de la mère au fœtus, peuvent venir constituer tout ou partie d’un de nos organes, dont elles participent pleinement au fonctionnement. Pour le meilleur (possibilités de greffes, de dons d’organes) ou pour le pire (maladies orphelines…) Une enquête riche et minutieuse, un excellent livre de vulgarisation scientifique qui offre une lecture passionnante, de haut vol, mais qui devrait rester accessible et compréhensible pour le commun des lecteurs. Avec toute sa pédagogie habituelle Claude a su parfaitement nous captiver.
Solange : Françoise – Laure Adler- Grasset Une excellente et passionnante biographie de Françoise Giroud, une femme de tous les combats, pour Solange un récit, nous dit en commençant Solange, bien meilleur que celle de Christine Ockrent Françoise Giroud, une ambition française. Le livre, bien documenté, sans concession, raconte la vie de cette femme engagée qui sut se battre dans un monde masculin celui du journalisme et du cinéma, et imposer ses convictions, une vie faite de bonheur et de drames (décès de son fils), de lumière, d’ombres, de failles (tentative de suicide après la rupture avec JJSS, envoi de lettres anonymes antisémites à son épouse…) Un récit qui nous livre un éclairage particulier sur sa vie, femme de fer, pionnière dans le féminisme, femme engagée (Action contre la faim, droit pour mourir dans la dignité…), femme fragile et complexe par bien des côtés, une femme qui a vécu tous les évènements de son époque : L’Occupation allemande, la guerre d’Algérie, la fin de la IVe République, Mai 68, le gouvernement Giscard, celui de Mitterrand, les mouvements humanitaires, féministes, culturels. Elle fut nommée, la première, secrétaire d’Etat à la condition féminine, puis secrétaire d’État à la culture.
Jeannine : 7 femmes – Lydie Salvayre- Perrin
Jeannine nous livre la quatrième de couverture de ce livre qui résume bien le livre. « Sept femmes. Sept figures emblématiques de la littérature qui ont follement investi leur vie. Leur relation à l’écriture est passionnelle, et, pour certaines d’entre elles, les a conduites au suicide. Singulières et exigeantes, elles transcendent leur douleur personnelle dans l’œuvre. Leur rapport au quotidien, qu’elles considèrent médiocre et sans intérêt, est vécu comme tragique. Mais ce “quotidien” n’est-il pas aujourd’hui celui qui a marqué l’Histoire ? Celui du Paris d’avant-guerre, des Années folles, de la Russie stalinienne… Comment retranscrire une œuvre au travers de la vie même de son auteur ? Lydie Salvayre s’adonne à cet exercice de portraitiste en choisissant celles dont la lecture a marqué sa vie et par là-même fécondé son œuvre : Emily Brönte (1818-1848), Colette (1873-1954), Virginia Woolf (1882-1941), Djuna Barnes (1892-1982), Marina Tsvetaeva (1892-1941), Ingeborg Bachmann (1926-1973) et Sylvia Plath (1932-1963). Dérangeantes, scandaleuses, elles ont témoigné à leur façon du monde dont elles ont autant souffert qu’elles ont contribué à la façonner… Leurs œuvres sont désormais des monuments littéraires. Lydie Salvayre les fait revivre en écrivant leur histoire, leur beauté, leur démesure, leur rébellion mais aussi leur côté sombre et leur désespérance. » Ces sept femmes passionnées, sept écrivaines combattantes, ont marqué chacune leur temps de façon indélébile, elles sont, et certains de leurs personnages aussi, pour Lydie Salvayre des modèles et des inspirateurs / inspiratrices.
Marlies : Le portrait de mariage – Maggie O’ Farrell – Belfond Cette britannique est l’une des auteures la plus traduite dans le monde qui met l’accent, dans ses œuvres sur la psychologie de ses personnages. Ce roman, fait d’analeptses et de prolepses, nous entraîne dans la Renaissance italienne aux côtés de Lucrèce de Médicis, troisième fille du duc de Toscane, Côme 1er. Il raconte la naissance de Lucrèce jusqu’au début de son mariage avec le duc Alfonso II d’Este et ces moments que la toute jeune femme pense être ses dernières heures. Lucrèce a posé pour le portrait de mariage, une image figée pour l’éternité. Maintenant, elle doit donner un héritier à son époux polymorphe, aimable, avenant, autoritaire et cruel, sa vie en dépend. Dès les premières pages, Lucrèce, femme fragile et sensible, un très beau personnage nous confie ses craintes : son mari veut la tuer, voilà deux ans qu’elle est mariée, elle n’est toujours pas mère. Cela se fera quand, comment, où ? Elle s’interroge et attend, car tel est son destin. Elle laisse parler son cœur. Dans une note finale, l’auteure explique qu’elle a pris quelques libertés avec la réalité historique, Lucrèce, est probablement décédée de tuberculose. Le portrait de mariage reste une histoire bien construite, aux accents féministes, qui raconte le destin d’une femme opprimée, instrumentalisée dès sa naissance, puisque sa seule utilité sera de procréer. Une histoire romancée qui évoque elle aussi le mythe de la virilité.
Michèle : – La fille de l’ennemi public – Lelia Dimitriu. Grasset C’est un livre écrit par une femme, Lélia Dimitriu, qui témoigne de sa vie de jeune femme, de son ardente ambition de liberté, un récit qui se déploie comme une grande fresque historique. Une autobiographie rédigée à 84 ans. Une entrée dans le monde des écrivains tardive qui n’est pas anodine. Elle en prend l’initiative le 24 février 2022 le jour où l’armée russe envahit l’Ukraine, il lui faut rédiger ses souvenirs tous imprescriptibles, qu’elle gardait au tréfonds de sa mémoire, car ressurgissent colère et dégoût, deux sentiments ressentis lors de l’invasion russe de son pays natal, la Roumanie. Après les accords de Yalta de février 1945, la Roumanie subit le joug du régime stalinien. La prospère société de fabrique de meubles de son père Costa Cristu est nationalisée, la famille au ban de la société devient miséreuse. Les gouvernements successifs d’Ana Pauker, de Gheorghe Gheorghiu-Dej, Nicolae Ceaușescu seront néfastes pour le pays mené à la baguette, voir à la kalachnikov. Les conditions déplorables de la vie quotidienne, la privation de liberté et les menaces constantes de la Securitate. L’émergence d’une nomemklatura maffieuse, les apparatchiks incultes et incompétents, le renouveau de l’antisémitisme, donneront, très tôt à Lélia l’envie de s’exiler pour la France et vivre à Paris. Dans ce récit, elle déroule son enfance, sa jeunesse avec réalisme, humour, poésie, ses premiers amours, dramatiques avec Milo Dragu, la confrontation à l’épreuve douloureuse de l’avortement, ses choix de vie, son combat pour pouvoir quitter son pays natal asphyxié par la dictature. Enfin à 28 ans, le 15 juin 1967, elle peut recommencer une nouvelle vie à Paris, obtenir un DEA, travailler pour l’Institut national de recherche pédagogique. Être LIBRE. Un témoignage intéressant d’un point de vue humain et historique malgré quelques passages un peu trop romancés, l’écriture est alerte agréable, sincère.
Treize fidèles et une nouvelle venue ont participé à cette soirée du club lecture : Béatrice, Christian, Claude, Daniel, Isabelle, Jacky, José, Jules, Marlies, Micaela, Michèle, Miguel, Olivier, Pascale. Douze livres ont été présentés, plusieurs « feel good » pour positiver et voir la vie plus lumineuse, d’autres pour voyager, au gré des récits, dans le temps et l’espace en Corée, Espagne, Irlande, Grèce, Russie, à Jérusalem, sur les hauts sommets himalayens.
Livres présentés
Animation : Olivier Tissort / Compte rendu : Michèle Robinet, Olivier Tissot, Miguel Couralet.
Daniel : – La misère et la gloire– André Ropert (Armand Colin, réédition 2018)
L’auteur raconte de façon chronologique mille ans d’histoire, celle du monde de la Russie qui a fortement contribué à faire ce qu’est devenue l’Europe. Cet ouvrage de plus de quatre cents pages donne de nombreuses pistes pour mieux comprendre la situation actuelle de la Russie, ses ambitions, ses prétentions, ses illusions mais aussi saisir ses désillusions. Elles résultent de la spécificité même de ce vaste pays composite qui n’a pu se doter d’une identité commune à cause des caractéristiques qu’il porte : religions, mosaïque de peuples, culture opposant l’élite et le peuple… Les rêves de gloire et d’hégémonie ne peuvent se concrétiser, le dépit de ses dirigeants grandit et s’accélère. Daniel se dit stupéfait de voir comment l’actualité est façonnée et heurtée par cette histoire millénaire. Elle se reproduit de siècle en siècle et de régime en régime. Il recommande vivement ce livre indispensable pour comprendre la façon de penser russe, les réactions de ce pays et de ses dirigeants, …, et in fine, de mieux saisir et interpréter les évènements présents.
1- Histoire de Jérusalem, un cadeau de Noël apprécié, une BD addictive, vivante, dense, excellemment documentée, écrite par Vincent Lemire, historien, directeur du Centre de recherche française de Jérusalem, et illustrée par Christophe Gaultier. C’est le résultat de 20 ans de recherches, de 6 ans de rédaction et d’illustration. En dix chapitres classés par ordre chronologique, il raconte 4 000 ans d’une histoire universelle, celle de Jérusalem qui à l’origine était une petite bourgade isolée, perchée sur une ligne de crête entre Méditerranée et désert et qui aujourd’hui est une agglomération de presque un million d’habitants, focalisant l’actualité. Scènes et dialogues proviennent de plus de 200 sources publiées et d’archives inédites. Le tout donne chair à ce récit choral. 4 000 ans d’une histoire universelle pour la première fois racontés dans une BD exceptionnelle.
2- Triste Tigre– Suite à la présentation de ce livre lors d’une soirée précédente, Jules a éprouvé le besoin de s’approprier cette lecture. C’est un témoignage personnel qui prend la forme d’un essai sur le viol, c’est ce qui rend ce livre particulièrement intéressant car il fait aussi un tour complet sur cette douloureuse situation. L’écriture est puissante et Jules recommande fortement cet ouvrage.
Isabelle : – Stupeur – Zeruya Shalev (Gallimard)
Nous restons en Israël. Deux familles, liées par un homme, un ex-époux et un père d’une grande sévérité, voire violent. Deux femmes, Rachel, qui fut il y a 70 ans son épouse, une très vieille dame qui a participé, les armes à la main à la fondation de l’état d’Israël et Atara, cinquantenaire, sa fille qui, dans les premières pages du roman assiste son père agonisant. Dans les vies de ces deux familles, ces destins chaotiques et ces trajectoires, s’entrelacent la genèse et l’histoire douloureuse de ce pays. Le titre peut s’expliquer par les thèmes développés dans le récit : l’amour, la filiation, la mort, le deuil, la religion, la guerre, les désillusions, … L’écriture est forte, sombre, souvent tragique. Elle met en évidence les convulsions et les fractures de la société israélienne. Une lecture qui ne peut laisser indifférent, un roman puissant qui fait écho à cette prégnante et tragique actualité.
Micaela : – Ensemble c’est tout – Anna Gavalda (J’ai lu)
L’histoire de Paulette, Camille, Franck et Philibert. Paulette, âgée, vit seule et n’est plus apte à rester chez elle ; elle va se retrouver en maison de retraite. Franck, son petit-fils cuisinier, lui rend régulièrement visite. Celui-ci cohabite dans un grand appartement avec Philibert, l’aristocrate. Camille, jeune femme à la fibre artistique, vit misérablement dans une chambre de bonne sous les toits dans le même immeuble. Ces personnages, un peu paumés et solitaires, poursuivent leur vie. Mais le destin va s’emmêler joyeusement pour les rendre solidaires. Un livre de 600 pages. Il faut parfois se concentrer sur la lecture pour avancer dans l’histoire et ne pas en perdre le fil, mais c’est une belle découverte (l’adaptation cinématographique réalisée par Claude Berri est aussi une réussite). L’amitié, la tendresse, la solidarité, l’humour sont des valeurs mises en exergue dans ce roman.
Didier : – Les douleurs fantômes – Mélissa Da Costa (Le Livre de Poche)
Les douleurs fantômes fait suite à Je revenais des autres, mais peut se lire seul. Rosalie, Gabriel, Tim, Anton et Ambre furent amis. Après un drame, ils se sont éloignés les uns des autres. Ils vont se retrouver cinq ans après. Ces retrouvailles vont permettre de faire le point sur la vie de chacun d’entre eux, raviver leurs souvenirs, leurs douleurs, mais aussi leurs certitudes. Les nombreux dialogues qui jalonnent le récit ont permis à Didier d’être étroitement et émotionnellement aux côtés des protagonistes, touchants. Les thèmes développés sont nombreux : la violence faite aux femmes, le handicap et son accompagnement, l’attitude et la responsabilité des aidants, la résilience, l’enfance, le deuil…
Béatrice : – La vie heureuse – David Foenkinos (Gallimard)
Eric et Amélie étaient scolarisés dans le même lycée. Par le biais de Facebook, il se retrouvent. Lui est cadre dans une enseigne commerciale d’équipements sportifs, elle est directrice de cabinet du secrétaire d’Etat au Commerce extérieur. Amélie sollicite Eric pour travailler au sein du gouvernement. Las de sa vie actuelle, il accepte et ils partent donc ensemble à Séoul pour une mission professionnelle. C’est là qu’Éric va faire une expérience étonnante : suivre un stage permettant de mettre en scène sa propre mort, de simuler ses funérailles, pratique thérapeutique coréenne courante. Cette expérience va lui permettre, en portant une réflexion sur sa propre mort, de l’amener à une nouvelle vie. La fin du roman a cependant laissé Béatrice un peu sur sa faim !
Christian : – Sur les traces de Nives – Erri de Luca (Gallimard)
Erri De Luca accompagne la célèbre alpiniste italienne Nives Meroi dans l’une de ses expéditions himalayennes. Réfugiés sous la tente en pleine tempête, à 8000 mètres d’altitude, ils engagent, par une nuit d’insomnie une longue conversation.Les récits d’altitude de la jeune femme sont une trame sur laquelle Erri de Luca va appuyer ses réflexions sur son parcours de vie à la fois humain et littéraire, et sur ses souvenirs. C’est un livre qui permet de s’interroger sur le dépassement de soi, sur la solitude qui permet de mieux se retrouver et sur le rôle effectif des sherpas souvent oubliés dans la conquête et la victoire des sommets. A la fois vivifiant, poétique, et philosophique, d’une lecture aisée, cet ouvrage a renvoyé Christian à un livre lu dans sa jeunesse, écrit par Edmund Hillary, l’alpiniste néo-zélandais ayant vaincu le premier l’Everest en 1953 : Au sommet de l’Everest.
Marlies : – La bonne chance – Rosa Montero (Métailié)
Qu’est-ce qui pousse un cinquantenaire, architecte de renom international, à descendre d’un train, à rebrousser chemin, au lieu de poursuivre sa route pour donner la conférence où il est attendu et de vouloir avec acharnement acheter un appartement sordide dans un village minier lugubre ? Dans ce lieu sinistre, Pozzonegro, cet homme, Pablo, fait la connaissance de différentes personnes, dont un notaire un peu filou, et une femme d’origine roumaine, Raluca, un peu déglinguée. Peu à peu, se dévoile le secret de cet homme qui fuit (mais que fuit-il ?). Ce livre est un fin thriller à la fois policier et psychologique, une histoire d’amour rafraîchissante, un bon moment de lecture addictive.
Claude : 1 – Le roi Amoureux – Philippe Casassus (L’Harmattan)
Philippe Casassus, professeur émérite de Thérapeutique et docteur en Histoire, nous offre une biographie historique romancée, et bien documentée, du roi Philippe 1er, arrière-petit-fils d’Hugues Capet, un monarque relativement peu connu, malgré l’un des plus longs règnes de l’histoire de France (48 ans). Cet ouvrage raconte les dernières années de sa vie, notamment après qu’il ait répudié sa femme, et volé la femme de l’un de ses vassaux. Le récit est émaillé, comme un roman d’aventures, d’enlèvements, de tentatives d’assassinat, de conflits avec la papauté, de guerre avec les Anglais.
2 – Le crime c’est l’argent
Claude, une fois de plus, nous fait voyager avec des romans policiers ; après Cuba, nous voilà en Grèce. Nous sommes à Athènes, et la Grèce est toujours confrontée à une crise économique de grande ampleur. Deux investisseurs (un chinois et un arabe du Golfe – ils sont bien présents en Grèce) sont assassinés. Politiques et financiers s’affolent. Le célèbre commissaire Charitos est chargé de l’enquête. Avec ce nouveau roman, loin des clichés touristiques, l’auteur évoque la vie quotidienne de la capitale plongée dans ce marasme qui perdure, même si les médias en parlent peu ou plus du tout.
C’est grâce à Isabelle qui nous avait présenté en décembre le Quatrième mur que Michèle s’est intéressée à ce roman. Sorj Chalandon se saisit de faits réels qui l’ont gravement impacté et affecté dans sa vie professionnelle de journaliste et qu’il travestit dans un roman. Il raconte son amitié avec Denis Donaldson qu’il met en scène de façon originale. Le traître, dans la fiction, c’est Tyrone Meehan. Le narrateur Antoine (Tony) est un luthier qui s’éprend, de façon irrationnelle et inconditionnelle, de la cause des catholiques irlandais opprimés et humiliés par les royalistes et l’armée britannique. Il s’immerge lentement, irrésistiblement, dans leur monde, adopte leurs rites. Tyrone Meehan un officier héros de l’IRA, emprisonné plusieurs fois et libéré, devient dans un premier temps son mentor, son guide, jusqu’à ce que celui-ci soit démasqué comme traître à la solde des anglais. C’est un roman puissant, magistral, qui nous transporte en Irlande, dans l’humanité des misérables ghettos catholiques. Il dit la force de la fraternité, de l’amitié vibrante et de la confiance. Tout ceci cependant se fracasse soudainement : foudroiement de la déloyauté, honte de la trahison, tragédie de la guerre. Michèle a pour ce livre un coup de cœur intense, douloureux. Sentiments partagés par plusieurs participants de la soirée qui ont aussi lu ce récit.
Miguel : – L’art de la guerre- Une aventure de Blake et Mortimer – Floc ’h, Fromental et Bocquet.
Par manque de temps le livre n’a pas pu être présenté, il le sera une prochaine fois.
Olivier : – L’éloge de la lenteur- Carl Honoré.
Par manque de temps le livre n’a pas pu être présenté, il le sera une prochaine fois.
Faites connaître autour de vous ces soirées de la librairieLa Mémoire du Monde : C’est ouvert à tous !
Ce vendredi 1er décembre, chez notre partenaire La Librairie Prado-Paradis (Marseille 8e), Christophe Longbois-Canil a inauguré le cycle de conférences sur la Méditerranée prévu jusqu’au printemps prochain.
L’auditoire a pu voyager à travers le journal de Paul Signac, pour découvrir l’histoire de cet artiste jusqu’à son arrivée sur les bords de notre belle Méditerranée. Peintre français, pas assez connu, proche du mouvement libertaire, (on comprend mieux pourquoi Christophe l’affectionne tant), il a été confronté aux difficultés des peintres de l’époque des salons impressionnistes. Tout comme son ami, Jean Seurat, leur rejet de ce monde opulent donnera naissance aux mouvements néo-impressionnisme et pointillisme dont ils seront tous les deux les représentants. À travers ces pages, nous avons flirté avec l’histoire, surtout l’histoire politique, la vie intellectuelle et culturelle de cette époque. Paul Signac livre dans ce journal le récit d’une vie, d’une pensée qui se frotte aux événements de son temps, d’un quotidien au bord de la mer Méditerranée. Christophe Longbois-Canil nous a éclairé sur cet artiste, sur son parcours, avec des anecdotes et le regard d’un homme engagé. Merci !
Florian Bouscarle, Article extrait de “Le Partage #2”, décembre 2023.
Francis Ponge (27 mars 1899- 6 août 1988) Francis Ponge, qui fut l’ami d’Albert Camus, naissait il y a 125 ans. Le Parti pris des choses a paru quelques mois plus tôt, en même temps que L’Étranger.
Lorsque le sucre élaboré dans les tiges surgit au fond des fleurs, comme des tasses mal lavées, – un grand effort se produit par terre d’où les papillons tout à coup prennent leur vol. Mais comme chaque chenille eut la tête aveuglée et laissée noire, et le torse amaigri par la véritable explosion d’où les ailes symétriques flambèrent. Dès lors le papillon erratique ne se pose plus qu’au hasard de sa course, ou tout comme. Allumette volante, sa flamme n’est pas contagieuse. Et d’ailleurs, il arrive trop tard et ne peut que constater les fleurs écloses. N’importe : se conduisant en lampiste, il vérifie la provision d’huile de chacune. Il pose au sommet des fleurs la guenille atrophiée qu’il emporte et venge ainsi sa longue humiliation amorphe de chenille au pied des tiges. Minuscule voilier des airs maltraité par le vent en pétale superfétatoire, il vagabonde au jardin. (Le Parti pris des choses)
Francis Ponge, Le Parti pris des choses, 1942.
France – Butterfly in Paris (04/10/2014) – Olivier GAZZANO – PhotosGz.fr
Animation : Miguel Couralet, Compte rendu : Miguel Couralet, Michèle Robinet.
Ce sont quinze personnes qui après avoir affronté le mistral glacial de ce 19 janvier ont partagé leur lecture du livre de Claudie Gallay « L’amour et une île » publié en 2010.
Beaucoup ont dit avoir été surpris au début par le style de Claudie Gallay : phrases courtes, chapitres très brefs, beaucoup de scènes et de personnages. Mais à part une lectrice qui a arrêté à la soixante-dixième page, les autres se sont passionnés pour ce texte qui mêle une intrigue surprenante qui se déroule pendant le festival d’Avignon de 2003 avec une plongée dans les rues et lieu d’Avignon et dans le milieu des gens de théâtre.
C’est joyeusement que le groupe de lecture a revisité les moments du livre, ses rebondissements, les passions amoureuses et théâtrales vécues par des personnages. Ceci dans un festival perturbé par le conflit des intermittents, chacun se souvenant avoir vécu à sa manière cette période.
Comme toujours depuis que nous organisons ces soirées de lectures partagées, les visions croisées enrichissent la perception de l’œuvre, ouvrent de nouvelles portes, font émerger des nouvelles approches, donnent envie de relire le livre.
D’abord le titre : « L’amour est une Ile ». Chacun y est allé de son interprétation. C’est aussi dans le livre peut-être que nous trouvons des débuts d’explications :
La liaison entre Odon (le propriétaire du théâtre) et Mathilde (la comédienne devenue la Jogar) s’est concrétisée sur la péniche d’Odon, amarrée sur les rives de l’Île de la Barthelasse. L’histoire se déroule dans Avignon : « Les intermittents ont fermé les quatorze portes des remparts. Pendant quelques minutes, Avignon devient une île ».Avignon cernée d’un côté par le Rhône peut prendre alors des allures d’île « Le fleuve dessine une courbe. Avignon ressemble à une île qui s’éloigne ». « L’amour est une île, quand on part on ne revient pas », cette dernière réplique du livre fait penser à Isabelle qui quitte Avignon pour se rendre à Ramatuelle sur la tombe de Gérard Philipe, âgée, fatiguée, usée, un dernier voyage sans retour ? « Elle s’en va pour trois jours. Il semble que c’est pour une éternité ».
Le décor : Nous sommes à Avignon durant le 57ème Festival en 2003 qui démarre en plein conflit entre les intermittents du spectacle et le gouvernement de l’époque. Le festival IN se maintient jusqu’au 10 juillet, date à laquelle Bernard Faivre d’Arcier annonce l’annulation. Malgré cette décision, une grande partie du festival OFF continue de jouer. Claudie Gallay a résidé à Avignon, elle connaît bien la ville. L’histoire nous entraîne dans une longue déambulation au cœur de la cité papale écrasée par la canicule, de nombreuses rues et lieux sont cités.
Les personnages : Nous suivons des personnages pris dans leurs passions et leur tourmente.
Odon le directeur du théâtre le chien fou qui pour l’amour de Mathilde a bouleversé sa vie et celle de sa famille.
Mathilde devenue la grande comédienne adulée de tous avec son surnom, la JOGAR fascine le public. Elle a sacrifié sa vie personnelle, pour se consacrer à la passion de sa vie, le théâtre. Elle a quitté Odon « parce que devenir la Jogar et continuer à l’aimer étaient deux chemins impossibles ».
Paul, l’auteur décédé des textes qui sont l’objet de l’intrigue. Marie, la jeune sœur de Paul qui cherche a comprendre comment son frère a été dépossédé de son œuvre et du succès. Marie qui nous bouleverse et qui hante Avignon de sa détermination et de sa présence jusqu’à en mourir.
Isabelle personnage émouvant, qui aime le théâtre, plus encore les acteurs, accueille avec générosités les troupes de théâtre qui n’ont pas les moyens. C’est la référence historique du Festival, elle a fréquenté Jean Vilar, Gérard Philippe, Léo Ferré, Alexander Calder…
Et tous ces autres personnages attachants qui circulent dans l’histoire : Julie, la fille d’Odon, jeune comédienne ; Odile, la sœur d’Odon ; Nathalie l’ex-femme d’Odon, rédactrice en chef au journal local ; Le curé de l’église Saint Pierre ; Jeff, l’homme à tout faire d’Odon, qui fut le compagnon d’Odile. Et d’autres encore appartenant au monde du théâtre jusqu’au crapaud Big Mac, vieux compagnon d’Odon
Le monde du théâtre :
Le roman fait de nombreuses références au monde du théâtre où les superstitions sont nombreuses : On y apprend la signification des onze coups d’introduction puis des 3 coups avec le bâton appelé « brigadier », un pour chaque apôtre. On y découvre que La couleur verte est interdite dans un théâtre, que « La corde » est un mot proscrit « un théâtre d’autrefois, avec des seaux suspendus. En cas d’incendie, il fallait crier Corde ! Et tous les seaux se renversaient ». On y apprend encore que les œillets queMarie dépose sur scène à l’attention de la Jogar sont des fleurs à proscrire.
Il y a de nombreuses scènes émouvantes dans le livre dont celle-ci :
Un soir la Jogar doit jouer mais les intermittents grévistes empêchent la représentation. La Jogar s’approche du public qui s’impatiente et déclame cette poésie de Joxean ARTZE
« Si je lui avais coupé les ailes Il aurait été à moi Il ne serait pas parti Oui mais voilà, Il n’aurait plus été un oiseau Et moi, C’était l’oiseau que j’aimais »
L’intrigue du livre développe plusieurs thèmes dont celui de la propriété intellectuelle , ( Y a-t-il eu vol, appropriation, plagiat ?) Que serait devenue l’œuvre en gestation de Paul sans l’intervention de la Jogar qui s’est emparée de l’œuvre et l’a transformée à sa manière ? Est- ce une appropriation délictueuse ? Que serait devenu Paul si Odon avait pu le contacter avant qu’il ne meure ?