
Animation & Compte-rendu : Michèle Stubbe-Robinet et Miguel Couralet
Soirée printanière légère, amicale et enrichissante, comme à l’accoutumée.
Barbara : La vraie vie, Adeline Dieudonné, L’Iconoclaste
Roman de 2018 qui a obtenu le Prix du roman FNAC 2018, Prix Livre et culture 2020.
L’histoire d’une famille se déroulant dans une banlieue paisible, non localisée qui vit dans un pavillon, en apparence semblable aux autres du lotissement. Chez eux, c’est pourtant glauque : il y a quatre chambres : celle de la narratrice, la petite fille d’une dizaine d’années, celle de son frère cadet Gilles, celle des parents, et la dernière, celle des cadavres ! Dans cette dernière sont entreposés tous les trophées naturalisés du père, chasseur de gros gibier, alcoolique, colérique. La mère est transparente telle une amibe, craintive, soumise aux fluctuations des humeurs de son époux. Les étés se succèdent, jusqu’au jour où un violent accident vient faire dérayer le cours de leur vie.
La jeune narratrice, deviendra guerrière, voudra revenir en arrière, trouver la vraie vie et, excellente élève en physique, cherchera à créer la machine à remonter le temps, pour effacer la tragédie.
Les personnages, sauvages, entiers, sont retracés par le regard incisif de la narratrice. L’atmosphère est souvent étouffante.
Un roman où les descriptions sont puissantes, réalistes, la noirceur sociale est bien présente, la poésie, la douceur, la violence, l’énergie et le cauchemardesque se côtoient rendant la lecture forte, dérangeante mais addictive.
Geneviève :
Elle est revenue rapidement sur le roman qu’elle avait présenté dans le club littéraire précédent L’allègement des vernis,nous offrant, en guise de conclusion, les dernières lignes du roman qui évoquent la place qu’occupent les œuvres d’art dans nos vies, notamment la célébrissime Joconde. Nous sommes, pour la plupart, entièrement tournées vers les nouvelles technologies, nous transformant, hélas, en de simples spectateurs boulimiques.
Puis elle nous présente son livre du jour :
Les femmes photographes sont dangereuses, Clara Bouveresse et Laure Adler, Flammarion
La photographie c’est une activité si simple qu’elle peut être à la portée des femmes et des enfants, il suffit d’appuyer sur un bouton !
Le métier de photographe a toujours été ouvert aux femmes car il n’était pas normalisé, c’était une profession jeune, instable, pas forcément prestigieuse ou excluante. Dès le XIXᵉ siècle, de nombreuses femmes s’emparent de la photographie. Présentes dans tous les domaines, de l’art au journalisme en passant par la mode, la science ou la publicité, elles se heurtent pourtant trop souvent à un manque de reconnaissance et de visibilité. Laure Adler les met à l’honneur à travers une sélection de choix personnels, réunissant des pionnières incontournables, de nombreux pays, des figures oubliées et de jeunes découvertes (Lisette Model, Vivian Meyer, Dorothea Lange, Shirin Neshat, Zanele Muholi, Sarah Moon ou Martine Franck…) Certaines s’engagent en politique ou dans le militantisme féministe, d’autres s’aventurent sur les terrains de guerre, comme reporters, rompent avec les normes et les conventions. Toutes prennent des risques, s’émancipent des cadres conventionnels et inventent des formes inédites, de nouvelles façons d’être, de voir, de montrer à voir et de travailler. C’est bien en cela qu’elles ont dangereuses !
Et Geneviève de rajouter avec son humour sarcastique : femmes dangereuses, certes, mais elles ne représentent que 30 % des photographes, et sont payées… 30 % de moins !
Delphine (2 livres) :
Deux livres qui évoquent le drame syrien, la poésie en est l’écho.
- Mahmoud ou la montée des eaux, Antoine Wauters, Verdier
Un livre cher à Delphine : Un vieil homme, un intellectuel qui a sombré dans la folie dérive à bord d’une barque, seul au milieu d’une immense étendue d’eau. En dessous de lui, sa maison d’enfance engloutie par le lac el-Assad, né de la construction du barrage de Tabqa, sur l’Euphrate en 1973. Fermant les yeux sur la guerre qui gronde, muni d’un masque et d’un tuba, il plonge et c’est sa vie entière qui resurgit, qu’il revit : son village natal, ses enfants au temps où ils n’étaient pas encore partis se battre, Sarah, sa femme folle amoureuse de poésie, la prison, sa soif de liberté, passé, présent se croisent, se mélangent.
Un texte court, une prose poétique puissante, écrite avec une plume simple mais splendide, à la fois mélancolique et réaliste qui dépeint le chaos syrien, la souffrance de tout un peuple.
- Damas je te salue, Omar Youssef Souleimane, le Castor Astral
Un petit recueil qui retrace le parcours d’Omar Youssef de sa Syrie natale au pays d’adoption choisi pour sa nouvelle vie, la France (Il est devenu citoyen français en 2022, dix ans après son arrivée). Il raconte dans ses poèmes courts mais d’une densité émouvante ( écrits d’abord en français puis traduits en arabe par l’auteur) l’absurdité de la guerre civile, la répression barbare des dictateurs El Assad, père et fils, sa résistance, son exil forcé, il évoque la nostalgie du pays perdu. Ses vers engagés lui permettent de donner corps à son identité plurielle et morcelée, de faire revivre les lieux familiers de son enfance, ses proches, restés sur place ou disparus dans les prisons.
Delphine nous lit un des poèmes pour nous faire apprécier cette écriture talentueuse.
Michèle : Sur les falaises de Marbre, Ernst Jünger, L’Imaginaire Gallimard.
Étrange, très étrange récit, onirique, ésotérique où il faut décrypter les métaphores, les allégories, les symboles, nombreux, quelques fois sibyllins qui peuvent rester hermétiques.
Les descriptions sont somptueuses, la poésie omniprésente, même quand Jünger raconte les scènes de massacres et de tortures.
Un lieu énigmatique sert de décor dans une époque indéterminée. La flore et la faune abondent :
Jünger avait fait des études de sciences naturelles, était entomologiste, et ses voyages d’étude lui avaient fait découvrir le monde de la zoologie.
Les références à la mythologie, à l’Antiquité, au Moyen-Age,- citations latines, bibliques…-, sont pléthoriques et permettent d’apprécier la grande culture de l’auteur. Si ce roman a été achevé en 1939 et si déjà Jünger avait pu se faire une opinion sur Hitler et Staline, il est difficile de penser que ce récit répercute uniquement tout ce qui allait effectivement se dérouler tout au long de la Seconde Guerre mondiale. Jünger a peut-être pris plaisir à écrire ces pages descriptives et pleines de poésie, pour échapper à la brûlure de l’actualité.
Lecture opportune, notre actualité reflète bien la dictature, la barbarie, les crimes, la violence, la tyrannie, la décadence de certaines de nos sociétés.
Miguel : La femme de ménage, Frieda Mc Fadden, J’ai Lu
Voilà un livre dont tout le monde ( ou presque) parle. Ne pas s’attendre à une grande œuvre littéraire mais à un livre qui vous prend et ne vous lâche plus. C’est le premier roman d’une trilogie écrite par l’autrice américaine, c’est un thriller psychologique, un succès de librairie, une lecture finalement addictive et rapide.
On suit les aventures de Millie qui vient de passer des années en prison et qui a enfin trouvé un emploi à durée indéterminée. Elle est femme de ménage dans la belle maison des Winchester, une riche famille new-yorkaise. Très vite la situation se dégrade car sa patronne se montre de plus en plus instable et toxique. Le mari est gentil, séduisant et la petite fille pire que sa mère….L’intérêt du livre est que rien ne se passe comme on le suppose rapidement. Les rebondissements sont étonnants. Le récit est enlevé. Tout est écrit avec précision.
Pas possible bien entendu d’en dire plus sinon on gâche le plaisir de la découverte.
La présentation de ce roman a été l’occasion d’un échange autour de ce que l’on pouvait attendre de livres à suspense. En tous les cas, parlez-en autour de vous, vous verrez que nombreux se sont déjà fait happer par cette histoire. Nos libraires nous ont dit aussi que de nombreuses personnes notamment des jeunes viennent acheter le livre car le bouche à oreille fonctionne. Si cela pouvait donner l’envie ensuite de lire d’autres choses !
LES CHOIX DE NOS LIBRAIRES :
Jacky (2 livres) :
- La fin du Sahara, Saïd Khatibi, Gallimard
Algérie, septembre 1988. Dans une petite ville aux confins du désert, on retrouve le corps de Zakia Zaghouani, la chanteuse de l’hôtel Le Sahara. Les soupçons se portent sur son amoureux, qui est jeté en prison. Un inspecteur de police enquête, l’avocate du principal suspect également. Famille, amis et proches témoignent et se retrouvent confrontés à leur passé. Secrets, trahisons, rancunes, mais aussi rêves et espoirs éclairent leurs liens avec la victime : chacun nourrit, pour une raison ou une autre, le désir de se venger d’elle. Alors, qui a réellement tué Zakia ? Et si, derrière le meurtre de cette femme, se cachait un secret si insoutenable qu’il pourrait déchirer toute une communauté ?
Saïd Khatibi, avec courage, signe un très bon roman à la fois intrigue policière et saisissante chronique de l’Algérie d’aujourd’hui : condition féminine, misère de la population, corruption généralisée, pénuries multiples, poids du passé qui ne peut être oublié…
Ce roman a été couronné par le prix de littérature arabe (Créé en 2013, le Prix de la littérature arabe est l’une des rares récompenses françaises distinguant la création littéraire issue du monde arabe. Ce prix promeut l’œuvre d’un écrivain originaire de l’un des pays de la Ligue arabe et auteur d’un ouvrage écrit ou traduit de l’arabe vers le français).
– Grindadrap, Caryl Férey, Gallimard
Le grindadráp est une tradition de chasse aux cétacés en vigueur dans les îles Féroé qui consiste à les conduire vers les berges, les hisser à l’aide de crochets (blásturkrókur) enfoncés dans l’évent avant de les tuer à l’aide de couteaux (grindaknívur).
Au milieu des cadavres d’animaux flotte le corps du vieux chef du Grindadráp, couvert d’étranges plaies. Les rumeurs les plus folles se propagent. Et que font sur l’île ces deux militants écologistes de Se Shepherd, l’ennemi juré ?
Un thriller écologique qui dénonce avec force les dérives d’une chasse rituelle insoutenable de nos jours où des centaines de cétacés sont massacrés avec atrocité. Un huis clos où l’hémoglobine domine qui a pour décor magistral les îles Féroé entre Écosse et Islande. C’est un cri de rage, un cri militant contre ces pratiques inhumaines.
C’est puissant, bien documenté, mais âmes sensibles s’abstenir !
Marlies (2 livres) :
- La Sauvagière, Corinne Morel-Darieux, Point Poche
Corinne Morel Darieux est une autrice, essayiste, chroniqueuse et militante éco socialiste française, elle écrit pour Philosophe magazine.
Après un accident de moto, la narratrice est transportée dans une maison en lisière de forêt, aux côtés de deux mystérieuses compagnes. Elle devra s’adapter à vivre de et dans cette nature en développant des rapports nouveaux et nouveau.. C’est une fable onirique, mystérieuse qui excelle à décrire avec précision et poésie la nature et qui nous invite à repenser notre rapport à la nature.
- Adèle Hugo, ses écrits, son histoire, Laura El Makki, Seghers
L’autrice est une universitaire américaine.
Décembre 1851. Déclaré ennemi public par Louis-Napoléon Bonaparte, Victor Hugo fait cap sur les îles anglo-normandes, précipitant les siens dans un exil qui va durer vingt ans. À Jersey puis à Guernesey, Hugo veille à occuper ses enfants. Adèle, qui pratique assidûment le piano, est chargée d’écrire la chronique du quotidien. Le livre rassemble des morceaux choisis du Journal de l’exil (1852-1856) dans lequel elle égrène le moindre événement d’une vie jadis mondaine, soudain réduite à de rares visites et aux séances de spiritisme, qu’elle n’apprécie pas. Scripte docile, Adèle écrit la parole des autres, des hommes surtout. Mais dans des carnets secrets, à travers une langue cryptée, elle fait entendre une voix très différente, pleine d’humour, de désirs et d’excès
José (2 livres) :
- Création Lake, Le lac de la création, Rachel Kushner, Stock
Cette fiction se déroule en France, Sadie Smith, ex-agente du FBI, est envoyée par ses mystérieux employeurs pour infiltrer une communauté d’éco-activistes radicaux dans un village. Sa mission : inciter les militants du Moulin à franchir la ligne rouge et permettre ainsi une riposte judiciaire de l’État. Rien d’insurmontable pour Sadie qui en a vu d’autres. Mais c’est sans compter les exigences sans limites de ses commanditaires. Un roman qui traite de façon satirique d’un sujet d’actualité : les mouvements d’activistes écologiques (on y retrouve la trace de l’affaire Tarnac en Corrèze). Une lecture lente, exigeante
- L’invention de Tristan, Adrien Bosc, Stock
L’auteur et éditeur Adrien Bosc (natif d’Avignon) a enquêté sur la destinée tragique d’un écrivain maudit, peu connu de son vivant et pourtant promis à une belle carrière, et menacé d’oubli, Tristan Egolf.
Dans la décennie 90, un américain bohème joue de la guitare sur le pont des Arts, une jeune fille l’écoute, c’est Marie Modiano, elle confie le manuscrit du jeune à son père, Patrick, qui le transmet à Gallimard.
Le Seigneur des Porcheries est publié, c’est un succès. Tristan retourne à New York, publie deux livres ratés, il finira par se suicider.
C’est une belle fiction, bien documentée, sensible qui permet de faire (ou refaire) connaissance avec cet écrivain maudit en lui redonnant vie.
Faites connaître autour de vous ces soirées où l’on aime parler des livres !
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