Lectures Partagées du 7 juin 2024

Compte rendu du club littéraire du 7 juin 2024

  MÉMO : 2 formules   1/ Le Club lecture a lieu tous les premiers vendredis de chaque mois de 18h30 à 20h : Chacun vient et présente un livre qu’il a lu. S’ensuit un échange. La séance est animée de façon que chacun puisse avoir le temps de présenter son livre.   2/ Soirée « Un livre- Un auteur » qui a lieu tous les trois mois environ, de 18h30 à 20h : Un moment de partage et d’échange, pour aller à la rencontre d’un auteur et d’une de ses grandes œuvres lue préalablement par tous les participants.   Un petit apéritif clôture chaque séance. Comment y participer ? : Le club est ouvert à toutes et à tous. Pour des raisons de place, Il suffit de s’inscrire préalablement en venant à la librairie, en envoyant un mail ou en téléphonant : lamemoirdumonde@yahoo.fr Tel : 04 90 85 96 76     Prochaines rencontres : Le club lecture : 5 septembre 2024 à 18h30   Un Livre un Auteur : Le vendredi 20 septembre 2024 à 18h30. Nous avons choisi de mettre à l’honneur Giuliano da Empoli et son best-seller Le Mage du Kremlin (Folio), un récit qui nous plonge au cœur du pouvoir russe, d’une actualité ubiquiste.   Prochainement cycle Jean Claude IZZ0 : Nous avons retenu aussi, pour une autre séance, dont la date sera fixée ultérieurement, Total Khéops de Jean-Claude Izzo (dernier trimestre 2024) Ceci sera précédé, le 5 octobre 2024, 16 heures, en partenariat avec l’Association Partages culturels en Provence une conférence consacrée à la vie et l’œuvre d’Izzo.

 Animation : Olivier Tissot, Compte rendu : Miguel Couralet, Michèle Robinet.

12 présents, des fidèles du club-lecture.

Miguel, « Narcisse et Goldmund » – Hermann Hesse -Livre de poche,

250 pages

Hermann Hesse est un immense auteur, prix Nobel de littérature que Miguel s’est attaché à nous faire découvrir ou redécouvrir. Courrez vite lire « Narcisse et Goldmund » mais aussi « Siddhartha », « le Loup des Steppes », « le voyage en orient », « Damian » et peut être, bien qu’un peu plus difficile car ésotérique, « Le jeu des perles de verre » ….

« Narcisse et Goldmund » se déroule au Moyen Age.

Goldmund a perdu sa mère très jeune. Il est conduit par son père au monastère de Mariabronn pour y faire sa scolarité et espère-t-il devenir moine. Il est pris en charge par son brillant professeur qui deviendra plus tard Abbé du monastère. Une grande amitié naît entre eux. De longues conversations entre Narcisse et Golmund fondent une conviction qui conduit ce dernier à quitter le monastère pour parcourir campagnes, villes et villages dans une vie vagabonde pleine de rebondissements, d’amours féminines et de découvertes sur ce qu’est l’art.

Si les rencontres sont riches d’enseignements et de joie pour Goldmund elles sont aussi parfois rudes. Il est amené à tuer un autre vagabond qui l’a trahi. Il rentre dans des familles et crée parfois la confusion. Lui-même se lasse de cette vie et s’interroge sur le sens des choses remettant en question sa façon de vivre.

Il apprend le métier de sculpteur sur bois et réalise des chefs d’œuvre. Il ravit la compagne d’un comte et est condamné à mort.

Sauvé par Narcisse venu le rechercher il revient se réfugier au monastère et reprend ses conversations avec son ami devenu abbé, tous les deux forts des expériences qui les ont mûris. Deux opposés qui s’attirent et se complètent. Ceci tout en réalisant un nouveau chef d’œuvre dans la chapelle du lieu.

Puis il repart vagabonder jusqu’à l’épuisement de lui-même et revient mourir au monastère prés de Narcisse qui le veillera jusqu’au dernier souffle.

Ce livre est d’une incroyable densité. Toutes les situations, toutes les rencontres sont porteuses de valeurs. Toutes les facettes de l’humain sont mobilisées : la raison, les sens. Sont interrogés les rapports à la vie, à la mort, à l’amour, à l’amitié, à la maladie aux croyances, à l’art. Le tout dans une finesse d’écriture qui enchante et bouscule.

Nous traversons le Moyen Age mais d’une certaine façon nous sommes hors du temps.

Narcisse et Goldmund, c’est un récit initiatique, une lecture bouleversante, profonde, puissante, une ode à la vie fugitive à travers la quête du beau. C’est un livre qui a été beaucoup lu dans les années 1970 et qui est à redécouvrir.                                                                

Laurence : « Terrasses ou notre long baiser si longtemps retardé » – Laurent Gaudé -Actes Sud- 128 pages 

 C’est le 13ème roman de l’auteur                             

Vendredi 13 novembre 2015. Une date qui restera à jamais gravée dans nos mémoires. Douceur automnale : ce soir a un goût de fête. Chacun rêve à ce que sera cette nuit.

Deux amoureuses savourent leur impatience de se retrouver ; des jumelles s’interrogent sur le lieu où elles pourront fêter leur anniversaire, une infirmière se promet le repos mérité. Un mari s’agace de devoir garder seul bébé, sa femme ayant décidé d’aller au Bataclan où les Eagles of Death metal donnent un concert. 

 Partout dans Paris, on va bavarder, trinquer, rire, danser, s’attarder pour savourer la nuit. Et du

côté des forces de secours et de l’ordre, rien n’annonce l’horreur imminente.

C’est un récit choral où les voix polyphoniques s’entremêlent, celles qui ont vécu la douleur de cet évènement, avant, pendant, après. C’est le basculement dans l’horreur. C’est la sidération                                                                                   

partagée, par tous, témoins, lecteurs. C’est un hommage, à la fois doux et terrible, poétique, empathique, sans pathos offert à toutes les victimes tuées, blessées ainsi que celles détruites psychologiquement.

 Laurence a eu bien du mal à mettre fin à cette lecture tant elle était liée au récit. Un livre très fort et plein d’humanité.

Daniel : « L’anneau du pêcheur » – Jean Raspail- Le Livre de Poche 308 pages

En préambule, Daniel nous rappelle quelques éléments biographiques concernant Jean Raspail (1925-2020), à la fois écrivain et explorateur. Ses romans racontent essentiellement de personnages historiques, des explorations, des reportages sur des peuplades autochtones : « Pêcheurs de lune », « Le camp des Saints », « Le roi de Patagonie- Moi Antoine de Tounens, roi de Patagonie », « Adios, tierra del Fuego »…Il fut parfois très critiqué pour ses prises de position ou sa vision du monde ( cf. le camp des saints) mais il reste un grand auteur à découvrir.

Dans le livre présenté nous naviguons entre le Moyen Age et aujourd’hui :

Qui est ce vieux prélat vagabond qui, demande l’aumône en ce Noël à Rodez et qui lorsqu’on l’interroge, répond simplement : Je suis Benoît. Un usurpateur ? Un illuminé ? C’est le descendant de la lignée des papes avignonnais, rebelles, six siècles plus tôt. Pourquoi les Services secrets du Vatican lancent-ils sur ses traces leur meilleur agent ? Le Saint-Siège se sentirait-il menacé ? Nous sommes pourtant en 1993. L’autorité de Rome n’est plus contestée depuis le concile de Constance qui déposa Benoît XIII, le dernier des antipapes d’Avignon, en 1417. L’ anneau du pêcheur (c’est l’insigne que reçoit le pape lors de l’inauguration solennelle du pontificat) est une œuvre troublante et visionnaire tenant à la fois de la fable mystique, du récit d’aventures et du roman d’espionnage.

C’est un roman magnifique qui envoûte par la beauté de son style et la richesse de son écriture. Beaucoup de séquences se déroulent à Avignon.

 Plus que jamais, avec ce livre, un chef d’œuvre, Jean Raspail, assoiffé de justice, défenseur passionné des causes perdues et des traditions oubliées, s’ affirme comme un écrivain au talent souverain.

 Une présentation belle et émouvante qui a donné à plusieurs d’entre nous l’envie de lire ce livre.

Micaela : « L’inconnue du portait » – Camille de Peretti – Calmann-Lévy

350 pages

Peint à Vienne en 1910, le petit tableau de Gustav Klimt Portrait d’une dame représente une femme en buste, à l’expression langoureuse, bouche entrouverte, pommettes enfiévrées. Il est acheté par un collectionneur

anonyme en 1916, retouché par le maître un an plus tard, puis volé en 1997, avant de réapparaître en 2019, cachée dans un sac poubelle dans les jardins d’un musée d’art moderne en Italie.

Aucun expert en art, aucun conservateur de musée, aucun enquêteur de police ne sait qui était la jeune

femme représentée sur le tableau, ni quels mystères entourent l’histoire mouvementée de son portrait. L’escapade de la femme sans nom et étrangement repeinte reste un mystère…

Des rues de Vienne en 1900 au Texas des années 1980, du Manhattan de la Grande Dépression à l’Italie

contemporaine, Camille de Peretti imagine la destinée de cette jeune femme, ainsi que celles de ses

descendants.  Une fresque magistrale qui couvre trois générations, une enquête où se mêlent des évènements historiques, des secrets de familles, des succès éclatants, des amours contrariées, des disparitions et drames retentissants.

Micaela a pris plaisir à cette saga rocambolesque composée comme un puzzle tout en douceur et en suspens à partir d’un fait divers bien réel.

Jules : « Chemin faisant»- Jacques Lacarrière- Fayard- 295 pages

Ce livre n’est pas un guide pédestre de la France. Il est une invitation au vrai voyage. C’est le partage d’un journal d’un errant heureux, des Vosges jusqu’aux Corbières, improvisant les étapes de sa randonnée à la fin des années soixante-dix, loin des autoroutes, des grands axes, sans GPS bien sûr. Un cheminement à l’échelle humaine où le temps se mesure par les pas du marcheur (sans podomètre) .

Jacques Lacarrière ne se contente pas de dévoiler le monde à travers son regard nu de marcheur : il nous raconte les saisons, insectes, animaux, vallées, falaises, écluses, moulins à vent, carrières, églises, calvaires, dolmens et autres trésors découverts au cours de son parcours. Il dit également les conversations avec des cafetiers, aubergistes, villageois, garde-forestiers et autres habitants de ces régions secrètes de France.
C’est un livre empreint d’humanité, qui renvoie à d’autres ouvrages  comme celui de Gaspard Koenig, de Sylvain Tesson (un été avec Rimbaud) …Jacques Lacarrière, passeur idéal, convie ses lecteurs à un cheminement initiatique au pays de la connaissance des êtres et de soi.

Le style est savant, poétique.

Jules a beaucoup aimé ce livre et a su en parler avec passion.

 Isabelle : « J’ai péché, péché dans le plaisir »-Abnousse Shalmani – Grasset-

 198 pages

« J’ai péché, péché dans le plaisir, dans des bras chauds et enflammés. J’ai péché, péché dans des bras brûlants et rancuniers. »

Phrase extraite d’un poème de Forough FARROKHZAD, poétesse iranienne, née à Téhéran en 1935 et morte en 1967.

Abnousse SHALMANI, elle aussi iranienne, en a tiré le titre de son roman.

 Abnousse va faire se rencontrer deux femmes remarquables, deux portraits féminins inoubliables, qui relient deux mondes opposés : Forough et Marie de Hérédia (fille du poète José Maria Hérédia).

Forough a marqué son époque grâce à une poésie qui dépassait les cadres trop rigides de la littérature iranienne des années 50, en abordant des sujets tels que la religion, l’amour et le sexe. Elle s’est attirée la foudre des autorités et ses recueils ont été interdits après la révolution islamique de 1979.

Marie de Hérédia, ensuite, née en 1875, pouvait profiter, elle, de certains privilèges. Bien que les mariages fussent souvent arrangés, cette jeune femme pouvait profiter des plaisirs de la Belle Époque, empreints de légèreté et d’une certaine propension à la fête.

Mariée à Henri de Régnier pour éponger les dettes de son père, elle se fait la promesse de ne connaître sa 1ère fois qu’avec l’homme qu’elle aime vraiment, Pierre Louys, poète lui-aussi.

Familiarisée avec les plaisirs sensuels, Marie se trouve souvent plongée dans des célébrations où les normes sociales sont bien souvent dépassées.

La rencontre, fictive, de ces deux femmes se passe par l’intermédiaire de Cyrus, le traducteur iranien des poèmes de Louys. C’est lui qui fait découvrir Marie de Hérédia à Forough. Grâce aux traductions, la poétesse plonge dans l’univers de Marie et va vivre par procuration cette vie de plaisir qu’elle n’ose imaginer vivre en Iran. Au fur et à mesure de ses rencontres avec Cyrus, devenu son amant, celui-ci lui raconte les dessous de cette histoire d’amour et les parallèles avec sa poésie. Forough, comme fascinée par Marie, attend que son amant lui décrive toujours plus précisément cette vie-là comme pour échapper à sa réalité iranienne.

Un livre puissant, sensuel qui parle de liberté. Il met en exergue les difficultés de vivre libre, même aujourd’hui, particulièrement en Iran.

Frédérique : « La délicatesse » – David Foenkinos- Gallimard – 208 pages

Beaucoup d’entre nous ont lu ce roman ou vu le film avec Audrey Tautou mais la présentation de Frédérique nous a permis d’en avoir une vision renouvelée.

Nathalie est belle, attirante, intelligente. Elle est mariée à François, ils sont heureux, ils s’aiment et semblent avoir la vie devant eux… mais, un jour, la belle mécanique s’enraye. François décède brutalement. Nathalie est anéantie par ce décès et va se plonger dans le travail avec outrance pour oublier sa peine. Elle travaille dans une entreprise suédoise. Le cœur de Nathalie devient une forteresse où même les plus grands séducteurs vont se heurter. Sauf un : Markus, un collègue terne et maladroit, sans séduction apparente. Pourtant il est émouvant., intuitif. Sur un malentendu, il obtient de la belle un baiser volé. Pour cet outsider de l’amour, c’est un signe du destin : il se lance à sa conquête… tout en délicatesse.

Deux thèmes principaux sont développés dans ce roman : comment se reconstruire après un drame, comment construire des relations délicates entre deux êtres.
C’est le roman du sentiment délicat, bienveillant un hymne à la vie lumineux, qui traite de la banalité du quotidien avec délicatesse.            

Paul : Présentation de la pièce Paysages/Visages – Textes de Giono

Nous avons droit, en avant-première à la présentation de cette pièce qui sera donnée lors du Festival d’Avignon au théâtre de l’Isle, place des Trois Pilats.

C’est un triptyque pour une randonnée à travers les paysages et les visages dans l’ œuvre de Jean Giono :
Paul Fructus a adapté trois romans de Jean Giono : Un de Baumugnes, Prélude de Pan, Le chant du Monde.
Un spectacle qui respecte les textes de Jean Giono en faisant passer la puissance et la force des mots.

« Ouvrir un livre de Jean Giono, c’est ouvrir une porte sur des paysage tourmentés et une humanité emportée dans la danse folle des saisons. Il n’y a pas que de l’émerveillement, il y a aussi du vertige. Le même vertige qu’à la contemplation d’un paysage de Van Gogh. Les arbres se tordent sous les mêmes vents froids, sous les mêmes soleils fous. C’est avec l’appétit de faire entendre à haute voix les mots et le monde de Giono »
L’occasion de relire ces trois romans avant d’aller voir avec plus d’émotion cette pièce.

Michèle : « Le Nom sur le mur »- Hervé Le Tellier- Gallimard-

Le héros de ce livre, est André Chaix, dont le patronyme est gravé sur le mur de la maison acquise par l’auteur qu’il voulait « maison natale ». Un ancien relais de poste situé dans la Drôme provençale à La Paillette, un hameau près de Dieulefit. Une demeure pour s’inventer des racines, dans un village vivant. La maison fut occupée quelque temps par un céramiste qui avait apposé sur la façade des plaques émaillées. C’est en retirant l’ une d’entre elles que le nom fut révélé.

( voir *)

Hervé Le Tellier va  trouver ce graffiti, s’en intéresser vraiment quand un nom accroche son regard sur le monument aux morts du village.

Mêmes patronyme et prénom que ceux figurant sur la façade de sa maison. Il va se documenter, recueillir des fragments de mémoire. On lui confie une petite boîte dans laquelle sont conservés quelques vestiges de la vie d’André Chaix : des photographies des lettres, celles adressées notamment à Simone Reynier, sa fiancée, qu’il aima « follement », des extraits de journaux…

Il est né en 1924. Il vivra 20 ans, 2 mois et 30 jours. Le 23 mai 2024. Sa jeunesse resta figée à jamais.

Ce récit permet de rendre hommage à ce jeune drômois, résistant, maquisard, disparu tragiquement. Il meurt des suite de ses blessures le 23 août 1944 à Dieulefit.

Mais Hervé Le Tellier digresse, il pousse beaucoup de portes qui s’ouvrent largement donnant à voir la vie quotidienne durant ces années de guerre. Il explore cette époque « où la générosité et le courage ont côtoyé comme rarement l’égoïsme et l’abject ». Il rencontre d’autres Résistants, des artistes et des écrivains ( et oui, Camus est encore évoqué !) et fait résonner d’autres drames. Il nous livre ses réflexions, ses propres souvenirs liés à cette période de l’histoire qu’il n’a pas connue directement mais qu’il a découvert par des visites de musée, films et des lectures… Ce livre hybride nous fait réfléchir. Il nous donne des clés pour démonter des mécanismes qui loin d’être grippés se remettent en mouvement périodiquement.

*Michèle a voulu vérifier si ce jeune homme à la vie brève était apparenté à une autre famille Chaix, qui s’impliqua, elle aussi dans la Résistance, résidant dans le Vercors et dont une fille épousa un autre maquisard venu de Lyon, qui fut l’ami de son père. A priori non, le nom de famille Chaix est courant en France (cinq mille, selon l’auteur plus de 50 Chaix figurent au fichier administratif de résistantes et résistantes du musée de la Résistance).

Marlies: « Belette » – Mye – Le Tripode, 256 pages

Belette 13 ans, évite comme elle peut les baffes de son père. Un jour elle fugue et se réfugie dans un bunker abandonné face à la mer avec sa meilleure amie Babine sa bicyclette ! Ce premier roman, plein de folies et de tendresse, est un coup de cœur de toute l’équipe du Tripode.

Elle dérobe les croissants à la boulangerie et peut compter, pour survivre, sur l’ami Bruno, le vieux Léon et une femme de passage, qui se prend d’affection pour elle. Et quand les larmes menacent, Belette brave encore la défaite du monde, avec sa joie légère et son battant au cœur.

Libre et intense, le personnage de Belette, rappelle la fougue de la Zazie de Queneau, l’ambiance des plages du nord en plus. Avec ce premier roman, à la langue, brute, poétique et entêtante, parfois enfantine et vulgaire, l’écrivaine Mye réussit son entrée dans la littérature.

Rubrique : L’actualité du libraire par José

 « La vie de ma mère » – Magyd Cherfi,- Actes Sud,- 272 pages

Porté par une plume alerte, pleine d’autodérision et de tendresse, l’ex-parolier du groupe Zebda ( chanson Tomber la chemise !) livre ici avec brio le récit ficelé d’une émancipation tardive, celle d’une mère algérienne immigrée qui, au seuil de sa fin de vie, décide de goûter enfin aux plaisirs de l’existence.

En filigrane, ce roman résonne comme un vibrant hommage à toutes ces mères sacrifiées sur l’autel de la famille, du devoir, des traditions, et un appel à leur nécessaire émancipation.

C’est à la fois tendre, cruel, drôle, bouleversant.

 « Le triomphe des imbéciles » – Samir Kacimi- Sindbad- 304 pages

Le président algérien a fait un cauchemar. L’ensemble des habitants est immédiatement convoqué pour que soient identifiés – et mis hors d’état de nuire – les premiers rôles de ce songe menaçant. Commence alors un jeu de massacre jubilatoire, qui fait la part belle aux personnages les plus burlesques d’un quartier historique de la capitale, déterminés à profiter de la bêtise ambiante pour s’adonner aux pires combines. Jusqu’à un revers magistral : une étrange épidémie touche le pays et tous, des plus puissants aux plus démunis, perdent leur capacité à lire et à écrire. Qui faudra-t-il hisser au pouvoir pour les gouverner ?
Inertie politique, réseaux sociaux aussi abrutissants que dangereux, organes étatiques gangrénés, corruption à tous les étages, population qui a perdu le sens de l’insoumission – l’auteur livre ici une radiographie saisissante, ravageuse, d’une société qui semble avoir basculé de l’autre côté du miroir, à l’image, peut-être, de notre monde tout entier.

 « Ma cabane sans peine »- Alain Guyard- Le Dilettante, 224 pages

Alain Guyard est professeur de philosophie. Mais il est aussi et surtout un philosophe forain qui veut faire sortir la philosophie du carcan académique.

 Le mythe de l’écrivain qui se retire dans sa cabane au fond des bois pour y philosopher sur la nature, faire le point sur sa vie et couper des bûches à la hache, voilà le bon plan pour assurer un succès littéraire et éventuellement s’acheter un appartement en centre-ville grâce à l’artiche raflé dans la combine. Car voilà, les librairies sont saturés par les livres publiés à foison sur des créneaux et des thèmes porteurs d’un moment. Aujourd’hui, c’est Guyard qui se frotte au truc, élit domicile dans un minuscule mazet cévenol, au milieu des chevreuils, des grands chênes et des bergers mutiques et libidineux. De brefs chapitres, autant d’instants saisis dans la forêt, de fragments de sagesse brindezingue, de conseils de littérature frelatée.
C’est un livre jouissif sur le filon éditorial.

Juin

SPHÈRE

Fleuve et jet d’eau
c’est tout comme.
Tous deux
vont aux étoiles.

Pic et ravin
c’est tout comme.
Tous deux,
l’ombre les couvre.

Suites

Federico García Lorca

Rendons hommage, en ce mois de juin, à Federico García Lorca poète, dramaturge espagnol, né à Fuente Vaqueros le 5 juin 1898.

Serres du Jardin des plantes / Paris (01/11/2011) – Photo : Olivier Gazzano / PhotosGz.fr

Lectures partagées – Mai 2024

Compte rendu du club littéraire du 3 mai 2024


MÉMO : 2 formules
1/ Le Club lecture a lieu tous les premiers vendredis de chaque mois de 18h30 à 20h : Chacun vient et présente un livre qu’il a lu. S’ensuit un échange La séance est animée de façon que chacun puisse avoir le temps de présenter son livre.
2/ Soirée « Un livre- Un auteur » qui a lieu tous les trois mois environ , de 18h30 à 20h : Un moment de partage et d’échange, pour aller à la rencontre d’un auteur et d’une de ses grandes œuvres lue préalablement par tous les participants.
Un petit apéritif clôture chaque séance. Comment y participer ? : Le club est ouvert à toutes et à tous . Pour des raisons de place, Il suffit de s’inscrire préalablement en venant à la librairie, en envoyant un mail ou en téléphonant : lamemoirdumonde@yahoo.fr Tel : 04 90 85 96 76
Prochaines rencontres :
Le club lecture : Le vendredi 7 juin 2024 à 18h30
Un Livre un Auteur : Le vendredi 20 septembre 2024 à 18h30. Nous avons choisi de mettre à l’honneur Giuliano da Empoli et son best-seller Le Mage du Kremlin (Folio), un récit qui nous plonge au cœur du pouvoir russe, d’une forte actualité.
Prochainement cycle Jean Claude IZZ0 : Nous avons retenu aussi, pour une autre séance, dont la date sera fixée ultérieurement, Total Khéops de Jean-Claude IZZO ( dernier trimestre 2024) Ceci sera précédé, le 5 octobre 2024, 16 heures, en partenariat avec l’Association Partages culturels en Provence par une conférence consacrée à la vie et l’œuvre de JC IZZO.

Animation : Miguel Couralet, Compte rendu : Miguel Couralet, Michèle Robinet.

Donc, ce 3 mai 2024, nous étions 16 présents, et parmi nous , pour plus de plaisir partagé, un auteur-réalisateur à la fois dramatique et humoristique, une écrivaine, une éditrice-comédienne- chanteuse.

Christian : Souvenirs du futur radieux, José Vieira- Éditions Chandeigne-

Christian qui nous présente souvent des auteurs italiens a choisi cette fois ci un auteur portugais.
José raconte son arrivée en France dans un bidonville à Massy dans les années 65, il a 7 ans. Ses parents se sont exilés pour fuir tout autant l’oppression de la « ditatura nacional », celle instaurée par Antonio Salazar que la misère et le risque de partir à la guerre pour tenter de sauver les dernières colonies portugaises. L’auteur se remémore les souvenirs de son enfance, une autre forme de misère, mais aussi une liberté retrouvée et l’entraide entre communautés… Il retrace avec sensibilité l’expérience de l’exil d’hier, celle que vivent d’autres émigrés aujourd’hui. Et après un voyage sur les traces de son enfance en Lusitanie avec sa fille, il s’interroge à propos des problèmes liés à la double culture, ici franco-portugaise, de ce qui reste de nos racines, gravées à tout jamais dans nos cœurs et nos esprits, de ce qui se perd au cours du temps comme parler correctement la langue natale et comment transmettre un patrimoine mémoriel.

Court mais intense plaidoyer contre les préjugés liés aux émigrés, message d’espoir et de tolérance, car « nous tous venons de quelque part et ensemble nous participons à un futur qui se veut radieux. » 

Une écriture sensible, poétique douce-amère, un témoignage émouvant.

Olivier : Les Yeux de Mona, Thomas Schlesser – Albin Michel –

Mona est une petite fille de 10/11 ans, la cécité la gagne. Avant qu’elle ne perde définitivement la vue, son grand-père veut lui faire découvrir la beauté du monde à travers l’art. C’est ainsi qu’ils vont mettre à profit tout leur temps disponible pour arpenter, en un long cheminement solaire, initiatique et artistique, les musées parisiens : Le Louvre, Orsay, Beaubourg et découvrir les plus beaux tableaux, les plus belles sculptures… 52 chapitres, 52 semaines de vie partagée qui permettent de découvrir plus en détail 52 œuvres.

A travers cette histoire pathétique, l’auteur, historien de l’art qui a soutenu en 2006 un doctorat en histoire et civilisation, nous livre un roman qui est une « ode à la beauté. » qui permet une présentation technique des œuvres citées (Botticelli, Vermeer, Goya, Courbet, Claudel, Kahlo…)
La jaquette du livre qui se déplie est magnifique, une invitation à se plonger dans cette lecture facile et sympathique , un phénomène littéraire qui remporte un grand succès.

Isabelle : Penser contre soi-même, Nathan Devers – Albin Michel –

Après une enfance marquée par un judaïsme zélé, et avoir envisagé de consacrer sa vie à la religion en devenant rabbin, l’auteur s’en éloigne brutalement à la fin de l’adolescence pour entreprendre des études de philosophie. Il devient professeur.

Pourquoi la philosophie ? C’est la question qu’il pose à ses élèves, interrogation universelle, lui-même cherche à y répondre de manière personnelle.
C’est une lecture qui demande un investissement sérieux car elle n’est pas aisée, elle est intense, puissante, passionnante, violente mais permet, aussi, de s’interroger sur sa propre façon de penser, d’aller au-delà de l’identité déterminée par sa naissance, d’exister avec soi-même.

On peut lire, en complément les œuvres d’Alain Guyard, celui qui a la volonté de faire sortir la philosophie du carcan académique.

Marie-Pierre : Des nouvelles de la famille , Benoîte, Flora Groult, Paul Guimard, Blandine, Lison De Caunes, Bernard Ledwidge – Livre de Poche –

La présentation faite par Marie Pierre a été l’occasion, dans le groupe, de rappeler l’intérêt et la beauté de l’écriture sous forme de nouvelles. Nouvelle littéraire : bref récit fictif qui fait appel à la réalité et qui, la plupart du temps, ne comporte pas de situation finale. Généralement, elle se termine avec un dénouement inattendu qu’on appelle la chute.

Benoîte est la sœur de Flora, Paul est le mari de Benoîte, Flora est la femme de Bernard, Blandine et Lison sont les filles de Benoîte, une famille hors du commun.

Ces auteurs ont mis en commun leur passion de l’écriture pour raconter quelques aventures familiales. Longue ou courte, gaie, mélancolique ou humoristique, chacune de ces histoires singulières est édifiante, racontée avec sensibilité et profondeur.


Jules : Et pourtant ils existent, Thierry Froger – Actes Sud-

Jules nous confie avoir découvert récemment cet auteur, écrivain, poète et plasticien, une belle rencontre.

Le roman se construit de ville en ville (Paris, Ibiza…), d’époque en époque, mais sans chronologie, de chapitre en chapitre, courts, avec des personnages, un par chapitre, certains célèbres, d’autres inconnus, tous intéressants. Le livre raconte les destins croisés, les exploits de Florentin Borde, avec un fil conducteur , la Grande et la petite Histoire, la Guerre d’Espagne y tient une place centrale .

Jules parle de cette lecture avec émotion et invite chacun à s’y plonger car c’est un roman choral talentueux, une lecture addictive, quelque peu jubilatoire.

Daniel : Bourougnan Speaks Molière, Daniel Villanova- Éditions Un jour, une nuit-

Daniel, avec une verve très moliéresque nous présente sa pièce écrite avec un plaisir intense, il

l’ interprète actuellement au Théâtre des vents, 63, rue Guillaume Puy, Avignon. 5 actes en prose et en vers.

L’intrigue : Afin de célébrer les 400 ans de la naissance du grand Molière (1622-1673), le gouvernement français décide d’imposer à la population l’injection d’un mystérieux produit issu des laboratoires Pferzaï-Maderno, le « Speaking Molière »

Ce dopage va permettre à tous les français de s’exprimer en vers tout au long de l’année, « à la façon de Molière », en hommage au génial auteur. Cependant À Bourougnan, la résistance à cette obligation s’organise. C’est une caricature du monde actuel dans laquelle l’auteur dénonce les aberrations et les errements qui « enrichissent » notre quotidien. Daniel nous a offert « en live » une scénette, celle où l’équipe municipale de ce village résistant expérimente, pour une première fois l’usage du GPS qui lui aussi a été vacciné et édicte des instructions en vers ce qui fait perdre le nord !!. Un régal.

Marlies : Un jeudi saveur chocolat, Michiko Aoyama – J’ai lu

Marlies avait choisi de présenter un ouvrage sombre, compte tenu de l’ambiance climatique particulièrement morose pour un début mai , elle a préféré nous offrir un nouveau « feel good ».

De Tokyo à Sydney, le roman entremêle 12 nouvelles. 12 tranches de vie qui invitent le lecteur à trouver le bonheur dans les petites choses du quotidien et dans des instants de vie qui réchauffent délicatement le cœur comme le fait cette boisson chaude cacaotée.

À Tokyo, un petit café accueille toutes les semaines une mystérieuse habituée, surnommée Madame Cacao. Rituellement, elle commande un chocolat chaud avant de s’installer à la même table en bois proche de la baie-vitrée. Et chaque jeudi, elle sort un délicat papier à lettre et se lance dans la rédaction d’une longue missive en anglais . Une routine immuable qui ne manque pas d’éveiller la curiosité du serveur zélé.

C’est délicat, savoureux, réconfortant, gourmand.

Jacky : Le Silence, Dennis Lehane – Gallmeister

Un roman fort sur l’Amérique ségrégationniste des années 70, couronné par le grand prix de la littérature policière étrangère en 2023. 

Été 1974, dans la banlieue irlandaise de South Boston, Mary Pat Fennessey, une femme charismatique blessée par la vie mène une existence routinière. Un soir, Jules, sa fille, dix-sept ans, ne rentre pas à la maison, on perd sa trace. La même nuit, un jeune Noir se fait mortellement percuter par un train dans des circonstances suspectes. Ces deux événements sont-ils liés ?
Un contexte explosif : la récente politique de déségrégation préconisée par le juge fédéral Garrity provoque des tensions raciales, une grande manifestation se prépare. Dans sa recherche effrénée de sa fille, Mary Pat, qui croyait appartenir à une communauté unie, voit les portes claquer devant elle. Face à ce mur de silence, cette femme en colère devra lutter seule pour faire éclater la vérité, si dévastatrice soit-elle.

Roman noir, un final extraordinaire. Jacky a été dithyrambique dans sa présentation !


Michèle : Les guerres secrètes du MossadYvonnick Denoël- Nouveau monde.

Denoël est un historien, grand spécialiste des services du renseignement. Son livre publié en 2012, puis 2022 est une nouvelle fois réédité avec actualisation en 2024. L’ouvrage est très bien documenté sur les réalités de la géopolitique du Proche-Orient impactant, bien évidemment, le monde occidental. Le travail d’investigation de l’auteur est sérieux. Il raconte avec preuves factuelles de nombreuses interventions du Mossad comparé à un « couteau suisse » aux multiples fonctions intuitives et efficaces. Ce service passe pour être l’un des meilleurs services de renseignement au monde, grâce à son savoir-faire, en termes de renseignement humain, à celui de pouvoir recruter des informateurs de qualité dans le monde arabe, d’établir des liens occultes avec des structures dites « ennemies ». Ici, des affaires très sensibles sont mises en exergue qui dépassent la fiction. Des commentaires mettent en évidence des informations majeures permettant de comprendre la réaction pas toujours compréhensible de certains pays dont la France.

Le Mossad connaît des succès mais aussi des échecs parfois retentissants, lourds de conséquence sur le plan politique et souvent générateurs de conflits majeurs. Un livre fort intéressant, d’une actualité brûlante. On est pris dans le tournis de l’espionnite.

Anne-Marie : Titrit, L’Étoile du Sud, Mariana – Vox Scriba

Mariana, c’est le pseudo d’Anne-Marie Schieber, plasticienne-poète, elle nous présente son livre, une sorte de carnet de voyage sur son retour au Maroc dans les années 2000, pays, qu’elle a connu dans la décennie 70. Un périple spirituel, sensuel, et philosophique.

Mariana nous a fait lecture d’un de ses passages préférés, poétique et inspiré, qui évoque son retour à Essaouira (l’ancienne Mogador). Elle y rend hommage au peuple Berbère et à sa culture (désormais reconnue par la Constitution marocaine.)

José : Tosca, Murielle Szac-Éditions Emmanuelle Colas.

Le nouveau roman de Murielle Szac est la première lauréate à avoir reçu le Prix littéraire des Avignonnais en 2022. Ce huis clos s’inspire de faits historiques.

Lyon, 28 juin 1944. Sept Juifs et deux résistants raflés par la milice de Paul Touvier attendent la mort dans un réduit inconfortable. Pourtant les langues se délient, chacun confie aux murs de leur geôle tout ce qu’ils sont, tout ce qu’ils souhaitent, tout ce qu’ils auraient rêvé être. Parmi eux se trouve un prisonnier que le résistant P’tit Louis désigne comme un ange – celui qui, cette nuit-là, va chanter Tosca, l’opéra de Puccini, l’air de celui qui va mourir à l’aube. Les 7 juifs vont être fusillés,  A côté de chaque cadavre a été posé un carton avec le nom, sauf pour un dont on ne connaît toujours pas l’identité.

A travers ce roman historique, qui parle de résistance, de liberté, qui ne laisse pas indifférent, l’autrice a voulu rendre hommage à cet inconnu.

Un livre qui résonne fort avec notre actualité.

Françoise : Gaston Couté , la chanson d’un gâs qui a mal tourné, Préface et notes de Michel Desproges. Editions Wallada

Françoise Mingot-Tauran est docteur en littérature comparée, comédienne, metteuse en scène, poète chanteuse  et éditrice !

Gaston Couté (1880,-1911) est un poète libertaire, et chansonnier  français, connu pour ses textes  antimilitaristes, féministes et anarchistes

Elle nous le fait découvrir à travers ce livre édité à l’automne 2023. Une anthologie qui a demandé un travail important, coordonnée par Michel Desproges, mise en page par Gérard Gaillaguet, intégrant les corrections et ajouts de l’auteur en 1906, retrouvées et jamais publiées .

Françoise ne s’est pas contentée de nous en lire quelques extraits, elle nous les a chanté. !

Miguel : Faute de temps Miguel n’a pas pu nous présenter Narcisse et Goldmund le chef d’œuvre d’Hermann Hesse ( Prix Nobel de littérature en 1946). Ce sera pour la prochaine fois !

Mai

On cause du passé, couleur de deuil, de l’avenir, couleur de rose.” 

Alphonde Daudet, Le Petit Chose, 1868.

Rendons hommage à un écrivain provençal né en mai : Alphonse Daudet (13 mai 1840 Nimes – 16 décembre 1897 Paris)

Serres du Jardin des plantes / Paris (01/11/2011) – Photo : Olivier Gazzano / PhotosGz.fr

Un livre, un auteur : Les Amants d’Avignon, Elsa Triolet

Animation : Miguel Couralet – Compte rendu : Miguel Couralet et Michèle Robinet.

Nous étions 14 présents pour partager notre lecture des Amants d’Avignon d’Elsa Triolet dans des discussions enthousiastes, enflammées, créatives, drôles, enrichissantes. Et comme à l’accoutumée, nous avons échangé à propos du titre de l’œuvre, des nombreux personnages, des lieux décrits, des thématiques mises en exergue dans cette nouvelle…
Les Amants d’Avignon paraît le 25 octobre 1943 sous le pseudo de Laurent Daniel dans la clandestinité, aux Éditions de Minuit. La paix revenue, il sera édité avec trois autres nouvelles sous le titre Le premier accroc coûte 200 francs. Ce livre recevra le Prix Goncourt en 1945 (Première femme à être primée par ce prix prestigieux).

Que raconte cette nouvelle ?

Le récit couvre deux mois (décembre 42/février 43)
Juliette Noël, jeune femme parisienne, est réfugiée à Lyon depuis l’exode avec sa tante Aline et José, petit orphelin catalan qu’elle a adopté, il y a 6 ans. Excellente secrétaire sténo- dactylo, elle travaille dans la presse. Entrée dans la Résistance, après la mort de son frère, sous le pseudonyme de Rose Toussaint, elle est agent de liaison entre Lyon, Valence et Avignon. La veille de Noël, elle doit accomplir une mission urgente laissant sa petite famille seule pour le réveillon. Elle part pour Avignon, entre en contact avec Célestin, un responsable de la Résistance. Ainsi six cheminots avignonnais échappent à la Gestapo. S’ensuit alors un jeu étrange entre Juliette et Célestin, tel un moment volé, une parenthèse heureuse dans ces vies chaotiques : ” Je vais vous proposer un jeu … On va jouer comme si on s’aimait…”.
 De retour à Lyon, grâce aux labyrinthes des traboules, Juliette va échapper de peu à une arrestation. Elle sera mise « au vert » et Célestin recherché par la Gestapo sera exfiltré par voie aérienne.

Le titre

Les amants se sont d’abord Louis Aragon et Elsa Triolet, un couple mythique fusionnel ayant résidé pendant la guerre à Villeneuve-lès-Avignon et aimant intensément Avignon. (Voir le poème d’Aragon in Le nouvel crève-cœur – C’est ici la ville d’Elsa)
Les amants d’Avignon, ce sont aussi Pétrarque et sa passion pour Laure de Noves (voir la plaque rue du Roi René décrite par Triolet dans le roman).
C’est aussi le couple qui témoigne de leurs retrouvailles au Fort Saint André en graffitant la date de leurs rencontres sur les murs ruinés du fort.
Ce sont les couples d’amoureux anonymesqui se promènent dans la cité papale « que de couples immortels dans les rues de cette ville de l’amour ».
C’est encore et surtout Juliette et Célestin.

Les personnages principaux

Un narrateur, plutôt une narratrice, Elsa (Elsa Triolet), qui est aussi le double de Juliette qui affirme : « On peut écrire en dehors du temps, des évènements, mais pas en dehors de son propre sort… de ce qu’on est (préface). J’ai mis les petits pieds de Juliette dans les traces de mes pas ».

Juliette Noël, alias Rose Toussaint dans la Résistance, « ravissante, sympathique, séduisante, charmante, un peu froide, secrète, élégance naturelle, une tête pour la couverture de Marie-Claire », mais somme toute, « une fille banale comme les autres. Dans la nuit et le brouillard il y avait beaucoup de filles comme Juliette ». Pourtant Juliette affronte les dangers en toute connaissance de cause se conduisant « comme si le péril était la règle habituelle de l’existence et le courage allait de soi ».
Orpheline de mère, elle a été recueillie par sa tante Aline, une vieille fille, la sœur de sa mère.
C’est une secrétaire sténo-dactylographe de premier ordre, » fermeté d’âme, sens du devoir ».
Un premier emploi chez un avocat parisien et sans doute un premier chagrin d’amour. « Elle avait déjà rencontré Lovelace (Séducteur de roman pervers et cynique) ».
Après l’exode, la famille s’installe à Lyon. Elle entre dans la Résistance par l’intermédiaire d’une collègue de travail Gérard Marie. « C’était la petite Gérard qui avait la première parlé à Juliette de la Résistance. Mais le jour où arriva la nouvelle que le frère de Juliette était tombé en Libye, la petite noiraude […] lui proposa carrément de travailler. Il y avait de ça plus d’un an… ».
Tante Aline, célibataire, âgée, une mère de substitution pour Juliette, ni curieuse ni contrariante, est au courant des activités clandestines de Juliette.

José, le petit orphelin espagnol adopté, il y a six ans.

Le docteur Arnold, gynécologue chef dans la Résistance, sa femme Suzanne trouvera un lieu sûr pour cacher Juliette quand il le faudra.

Célestin, un capitaine de cavalerie d’un certain âge, un haut responsable dans la Résistance, il sera exfiltré.

Dominique, un résistant important qui apparaît à quelques reprises. Il est dénoncé par un traître et est arrêté.

Les fermiers, Les Bourgeois, en particulier, mais aussi tous les habitants de la campagne et des petites villes et hameaux traversés.

Les voyageurs : ceux du bus, des trains.

Les missions de Rose (Juliette)

Elle œuvre pour la Résistance depuis un an comme agent de liaison. Elle est consciente qu’on lui confie de rudes tâches, « Tout de même, songeait-elle, ils ont du culot de m’envoyer dans un endroit pareil ! »
 Elle doit identifier des planques dans les fermes aux alentours de Lyon et dans la Drôme pouvant accueillir des résistants, des parachutistes alliés. Elle relaie les informations, transmet aussi divers documents dont des cartes alimentaires, relève les boîtes aux lettres…
Son arrestation : Arrêtée à Lyon, Juliette échappe à la surveillance des deux policiers allemands qui veulent l’utiliser pour piéger Célestin. Ils sont bien renseignés (suite à une trahison) : Ils connaissent le prénom de l’homme, ils savent que Juliette l’a attendu à la gare, qu’elle est allée avec lui à l’hôtel. Sa course dans le labyrinthe des traboules lui permet de semer ses poursuivants.

Les lieux

La ferme abandonnée et en ruine (c’est le souvenir de la maison le Ciel (Comps, près de Dieulefit où le couple Aragon/Triolet vécut caché.)

La campagne enneigée : description poétique : odeur, couleur… « Cela sentait bon la neige comme une armoire à linge » « Les cônes de montagne se chevauchaient les uns les autres, blancs sous la lune très haute, avec autour d’elle une immense alliance d’or… »

Les fermes, celle des Bourgeois, en particulier – représentation de la vie rurale, simple et besogneuse.

Avignon, la venteuse, « ville aux grands murs, s’étirant vers le ciel », le Palais des Papes « Ils montèrent vers cet A majuscule d’Avignon, qu’est le palais des Papes », rue des Teinturiers, la chapelle des Pénitents noirs de la Miséricorde et sa légende, le quartier de la Balance (voir sur internet plusieurs photos de ce quartier dans les années 40 cela donne un bel aperçu de la balade de Célestin et Juliette), le quartier des gitans à cette époque.

la demeure cossue de Célestin à Avignon, une vieille demeure, un hôtel particulier, certainement près du Palais des Papes, avec tapis, draperies, tableaux, baies gothiques, meubles de style, portes sculptées, grande cheminée…

Le Fort Saint André, « Les deux tours de l’entrée, énormes jumelles pour astronomes géant » avec les graffitis ceux des prisonniers enfermés en ces lieux, ceux des amoureux.

Lyon, la ville des soyeux, des canuts, une ville mal aimée, voir détestée« Une ville noire et boueuse, ville pesante et fermée Que pouvait-on y aimer, dans cette ville ? »
De toute évidence, Juliette, la parisienne, fait preuve de chauvinisme, elle compare souvent Paris à Lyon, et ce qu’elle en dit ne souffre aucune comparaison. « Juliette allait jusqu’à pendre en grippe ceux qui prétendaient se plaire à Lyon… ». Elle finira par aimer l’ancienne capitale des Gaules.

Les traboules qui lui permettent de s’échapper. (On découvre le verbe trabouler)

A Valence, un restaurant avec deux hommes qui jouent aux cartes évoquant le tableau de Cézanne.

Une chronique lucide de la Résistance romancée

Une époque qui met à nu la véritable nature des individus, qui révèle des possibilités insoupçonnées pour quelques-uns, un hommage à ces gens ordinaires, voire insignifiants, qui, refusant les compromissions et le confort d’une prudente inertie, qui deviennent alors chefs de maquis, agents de liaison. Ces héros de l’ombre accomplissent leur “devoir” sans ostentation, ni orgueil, mais prennent des trains dans lesquels ils se sustentent d’un sandwich au mauvais saucisson, se déplacent à bicyclette, font de longues marches dans la neige, sous la pluie, pour apporter une contribution discrète mais indispensable, reposant sur un vaste réseau de solidarité et de confiance…

Le quotidien : Les difficultés matérielles et existentielles durant la guerre sont décrites avec réalisme.

 Un quotidien désespérant, navrant, dans lequel il faut bien continuer à vivre et tenter de conserver une certaine liberté : la prolifération de soldats allemands, les restrictions, les voyages difficiles (retards, trains surchargés, wagons réservés aux occupants, « Nur für die Wehrmacht » …), la peur, la faim, le froid, le courage à affronter quotidiennement ceux qui soutiennent ouvertement l’occupant, ceux qui osent quelques paroles d’opposition.

Le cinéma où l’on peut se réfugier, se chauffer le temps d’une séance, la musique avant la séance, à l’entracte. Les journaux tel Le dimanche illustré. Noël, qu’on célèbre comme on peut : les vitrines de Noël décorées avec ce qu’on a avec « Les boîtes de Nab étaient entortillées de cheveux d’anges ». Les partitions de chanson, succès très populaires de l’époque vendues dans la rue et dans les magasins.

L’amour et le jeu de l’amour propose par Juliette

Nous avons débattu longuement autour de ce thème !

Juliette à Célestin : « Je vais vous proposer un jeu… On va jouer comme si on s’aimait »

Célestin, d’abord retissant « Je ne suis pas très sûr de savoir jouer… ». Peur des conséquences, du ridicule, de tomber effectivement amoureux, d’avoir passé l’âge pour un tel jeu ? Épris d’une autre femme ?

Juliette : « J’en ai besoin » (besoin d’amour après une expérience malheureuse, besoin d’une pause dans la tourmente de la guerre, une parenthèse pour oublier le danger …)

Puis Célestin se laisse convaincre, : « A vous Juliette qui, dès maintenant êtes mon amour … Parce que je vous aime » mais pour se dédouaner, ne pas trop glisser dans la comédie il ajoute « et que je suis un peu saoul ».

Juliette « Ah dit Juliette, je vous aime… Je vous aime, je ne veux pas vous perdre… »

Célestin sembleassumer son rôle dans ce jeu, puis ellipse, nous ignorons si Juliette et Célestin se sont connus au sens biblique du terme …

Lors de nos discussions certains, ont considéré que l’amour était resté platonique, pour d’autres, non. Quelle importance finalement !  Le mystère demeure et donne au roman une dimension intéressante et spirituelle.

Le style du roman

Une plume forte, poétique, une écriture pleine d’émotions, spontanée, descriptive, réaliste (le quotidien de la guerre est décrit avec une vérité crue).
L’écriture d’Elsa Triolet va au rythme de son héroïne : rapide, sans apprêt, à la « lis-la comme elle court ».
Triolet s’exprime souvent par ellipses.
Ce sont peut-être ces caractéristiques qui ont rendu la lecture, quelque fois difficile pour certains.
Dans presque tous les ouvrages narratifs d’Elsa Triolet, celui-ci en particulier, on trouve une description attentive des caractères féminins avec leurs existences individuelles, marquées par leur sexe. Une description attentive et affectueuse de Juliette, une ode au féminisme.

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Ce fut une belle soirée culturelle conviviale. Merci à vous tous.

Pour aller plus loin : Biographie d’Elsa Triolet chez Flammarion d’Huguette Bouchardeau 2001 et le livre de Nelcya Delanoë D’une petite rafle provençale Seuil 2013

Lectures Partagées – Avril 2024

Livres présentés

Animation : Miguel Couralet / Compte rendu : Michèle Robinet et Miguel Couralet.

Nous étions dix pour ce nouveau club de lecture printanier, nous avons accueilli deux nouveaux venus Myriam et Loïc. Nous avons tous présenté un livre.

Solange : Le ciel ouvert – Nicolas Mathieu – Actes Sud

Un recueil de textes publiés au fil des années sur Instagram, illustré par Aline Zalko, graphisme et couleurs qui donnent du sens au récit. Trois parties qui égrènent un kaléidoscope de vie intime : joies, détresse, des fragments de vie où chacun peut se retrouver :

– Une partie consacrée à une histoire d’amour fou, passion clandestine partagée avec la femme aimée qui n’est pas libre,

– Celle de l’amour du père pour son enfant, un père célibataire qui élève son fils

– Celle où l’écrivain est spectateur de la déchéance de son vieux père.

Ce livre magnifique est un petit chef d’œuvre de délicatesse, de tendresse, de poésie. Pour Solange un grand moment de bonheu

Jacky : Le rêve du pêcheur – Hemley Boum – Gallimard

Jacky lit depuis de nombreuses années de la littérature d’auteurs africains, il en est devenu spécialiste. Ce roman retrace quelque peu une situation vécue par un de ses amis originaire de ce continent où la famille est avant tout un clan avec de grandes valeurs communautaires.

 Zacharias, pêcheur comme ses ancêtres, vit dans le petit village de Campo, une vie tranquille avec sa femme Yalana et ses enfants. Du jour au lendemain, il voit son mode de vie traditionnel bouleversé par l’arrivée d’une compagnie d’exploitation forestière qui crée une coopérative de pêcheurs. Alors tout cela est riche de belles promesses et le père de famille se prend à rêver d’un autre avenir pour les siens. Mais les illusions s’effritent, les dettes s’accumulent et l’équilibre familial va être irrémédiablement rompu. Sa fille Dorothée perd son mari dans des circonstances troubles, son petit-fils devient orphelin de père … Quelques décennies plus tard, Zachary, le petit fils, dix-huit ans, après « une grosse bêtise », fuit le Cameroun abandonnant sa mère à son sort et à ses secrets. Devenu psychologue clinicien à Paris, marié, père de famille, il a cru au miracle, mais son passé le rattrape.Avec ces deux histoires savamment entrelacées, la romancière camerounaise Hemley Boum signe magistralement une fresque familiale puissante, poétique qui se poursuit sur plusieurs générations, qui aborde de nombreux thèmes : les traumatismes de l’expatriation, l’intégration, le racisme, la recherche identitaire, les effets pervers de la mondialisation… éclairant à la fois les replis de la conscience et les mystères de la transmission. Le roman, une alternance de chapitres évoquant le présent et le passé, commence et finit à l’extrême sud du pays, à l’embouchure du fleuve Ntem, cadre ambivalent et métaphore de l’intrigue.

Un très beau roman lumineux, bouleversant, authentique qui fait sens.

Christian : Une fleur qui ne fleurit pas – Maria Messina – Cambourakis

Encore un roman d’une autrice italienne dont Christian, nous donne quelques éléments biographiques : Maria Messina est née à Palerme en 188, elle décède à Pistoia en 1944. A travers ses nouvelles et ses romans elle s’est attachée à mettre en scène l’oppression des femmes italiennes, plus particulièrement celles de Sicile, sa région natale. Atteinte d’une sclérose en plaque, elle cesse d’écrire en 1928, à 41 ans, seize ans avant sa mort. Maria Messina connaît une certaine notoriété de son vivant mais sa renommée commence à faiblir dès qu’elle cesse de publier. Elle sort de l’ombre dans la décennie 80, depuis lors, plusieurs de ses œuvres sont rééditées.

Une fleur qui ne fleurit pas – un fiori non fiori, a été édité en Italie 1923, réédité en France en 2022.

Aux alentours des années 1920, Franca rencontre Stefano à Florence. Franca, une jeune fille en fleur pétillante, ose la modernité sociale et vestimentaire qu’elle affiche dans son indépendance, sa coupe de cheveux, ses habits. Mais cet avant-gardisme n’est pas apprécié par la société conservatrice de l’Italie du début du XXème siècle. Il faut choisir de se fondre, d’accepter le poids de la tradition, se soumettre ou devoir renoncer au mariage, à l’amour, à une vie de famille différente de celle vécue par ses aïeules. Franca renoncera progressivement à son amour, elle se sacrifiera, se flétrira.

L’histoire tragique et bouleversante de Franca est attachante, l’écriture est fine, élégante, ce roman traduit parfaitement les choix impossibles pour les femmes en Italie, à cette époque, le poids de la société, un sujet, hélas, d’une actualité brûlante ces derniers jours.

Isabelle : Comment ça va pas ? Conversations après le 7 octobre – Delphine Horvilleur Grasset

 Après les attentats perpétrés par le Hamas le 7 octobre 2023 en Israël, Delphine Horvilleur voit son monde s’effondrer (Elle est rabbin). Elle dont la mission consiste à porter la souffrance des autres sur ses épaules, à la rendre moins lourde par ses mots, à consoler, se retrouve piégée, traumatisée par les fantômes ressuscités de la Shoah, ravagée, en état de sidération, impuissante, insomniaque et aphasique. Pour tenter de reprendre pied, elle rédige dix conversations réelles ou imaginaires où elle convoque la petite fille qu’elle était, la femme qu’elle est devenue, la mère, la juive qu’elle est. Par cette écriture, parce que la littérature nous aide souvent à traverser les périodes dramatiques, pour atténuer son mal être, elle tente de trouver des réponses, du sens au non-sens. Aussi pour soulager le traumatisme transgénérationnels amplifié par des siècles et des siècles de douleurs, elle s’interroge sur les ressorts de la haine, les difficultés à gérer les « mais ». Elle s’exprime avec la sincérité qui la caractérise, la gravité de ses propos se teinte d’un léger humour nécessaire ici pour tenter d’édulcorer la douleur.

Myriam : L’attente du soir – Tatiana Arfel – Corti

Dans ce livre, l’autrice donne la parole à ceux qui ne l’ont pas. Elle met en scène trois marginaux, trois atypiques, cabossés par la vie dont elle raconte le parcours :

-Giacomo, le vieux clown blanc, directeur d’un petit cirque, dresseur de caniches, dont la vocation est de faire rêver, c’est un compositeur de symphonies parfumées, épris de liberté,

– Une dame grise « hors normes » mal aimée par sa famille, mal aimée par la vie, qui s’épanche dans les chiffres, les tables de multiplication,

-Un enfant sauvage, sans langage, abandonné au milieu des détritus d’ordures, fasciné par les couleurs. Il dessine faute de savoir écrire.

 Le destin va faire se rencontrer ces trois solitaires, ils vont s’écouter, et ainsi s’aider à se reconstruire.
L’autrice, psychologue de formation, s’intériorise dans ses personnages.

L’écriture est poétique, vibrante, le récit magistral, prenant, sensible, magique.

Daniel : Shakespeare, Le Guépard– Giuseppe Tomasi di Lampedusa.

Giuseppe Tomasi, prince de Lampedusa, duc de Palma, baron de Montechiaro et de la Torretta, grand d’Espagne de première classe, est un gentilhomme sicilien et un écrivain italien.

Il est l’auteur d’un roman unique “Le Guépard, publié à titre posthume (1958).

Tomasi di Lampedusa, ne fut jamais un universitaire, mais sa grande culture et sa parfaite connaissance du français et de l’anglais l’amenèrent à donner des causeries devant un cercle d’intimes, principalement sur la littérature anglaise. Ce recueil consacré à Shakespeare en est tiré.

Dans une présentation originale, Daniel, qui nous a lu quelques passages du Guépard et du livret Shakespeare, qui mettent en évidence les similitudes de l’écriture de Guiseppe Tomas dans ces deux œuvres, sa grande culture, une plume spirituelle qui raconte avec une liberté de ton, humour, et sensibilité, drames et comédies en observant avec beaucoup d’acuité la société et les rituels sociaux. Manifestement l’auteur du Guépard avait une grande sensibilité à la thématique et à la poésie shakespearienne.

Loïc : Les enfants oubliés d’Hitler –Ingrid Von Oelhafen – Fayard

Durant la Seconde Guerre mondiale, plusieurs dizaines de milliers d’enfants dont lescaractéristiques physiques correspondaient au type aryen pour fabriquer les maîtres de demain : blond, yeux bleus, teint clair, furent arrachés, kidnappés à leurs parents dans les pays et territoires conquis et occupés pour être placés dans un Lebensborn (fontaine de vie) ou confiés à des familles nazies. C’est ce qui est arrivé à Ingrid von Oelhafen. Victime de cette atrocité. Plus tard, quand elle découvrira qu’elle est une enfant adoptée, elle partira à la quête de ses origines. Une démarche, une enquête de plus de trente ans, qui tentera de lui permettre de comprendre les mauvaises relations avec ses parents adoptifs, notamment sa mère de substitution, mal aimante, ses difficultés personnelles, ses traumatismes, ses choix de vie, ses attirances avec d’autres adultes qui connurent le même sort.

Quand Ingrid retrouve enfin le village où elle est née, une révélation plus dure encore l’attend.

Un récit personnel émouvant, un témoignage historique saisissant sur ce programme nazi terrifiant qui reste encore peu connu.

Béatrice : En vérité – Typhanie Tavernier- Sabine Wespieser  

C’est d’une femme (Alice) totalement sous l’emprise d’un époux très toxique. Une femme complètement perdue mais qui ne perçoit pas la maltraitance de son mari. Le lecteur est percuté par cette situation, s’en révolte, a envie de secouer Alice, la faire réagir.

Sa vie changera-t-elle quand elle répond à une offre d’emploi ? : « L’association diocésaine de Paris recrute un(e) assistant(e) pour le promotorat des causes des saints. », Sans aucune qualification, elle est pourtant recrutée. Entourée de collègues bienveillants, elle va alors être confrontée à la complexité sidérante de la procédure de canonisation bien compliquée.

Un roman déconcertant, qui a laissé Béatrice sur sa faim mais qui vaut , quand même assure-t-elle, d’être lu.

Michèle : Si le soleil s’en souvient – Jean-Paul Enthoven – Grasset

Ce récit est en quelque sorte la confession d’un homme qui retrouve ses racines, les vraies, loin des contraintes germanopratines. A 75 ans, Jean-Paul Enthoven tombe le masque sur ses origines, une jeunesse sculptée par le soleil et la mer de son pays natal, sur fonds de guerre, dans les derniers soubresauts de l’Algérie française. Ici, lessouvenirs lumineux, quelques peu enjolivés, douloureux, émouvants osent enfin se dévoiler, pour composer une autobiographique où vérité solaire et fiction ténébreuse se croisent.  Voilà ce qu’en dit l’auteur :

– « Quel sera le taux de menteries dans les affirmations, insinuations, divagations ici contenues…
– Tout est ici, et sera vrai… C’est à dire presque vrai, très vraisemblablement, nuancé, historiquement avéré, hypothétique, à peine rectifié à la marge… Au départ, j’envisageais un tiers d’exactitudes, un tiers d’exactitudes malmenées par le temps, un tiers de mensonges rigoureusement véridiques […] mais, à chacun de ces tiers, se sont ajoutées des sous-divisions réservées à l’imagination, à l’énergie narrative, à la nostalgie, à l’accentuation dramatique, à la mémoire vaniteuse ou volontairement dépréciative, à la volonté de prendre une revanche sur une réalité insuffisante. »

Le père, Edmond, grand propriétaire terrien, décide, en 1960 de construire un cinéma d’avant-garde dans sa petite ville Mascara, à quelques cent kilomètres de la préfecture Oran. Pour l’inauguration c’est Moby Dick de John Huston, film de 1956, d’après le roman éponyme d’Herman Melville qui sera projeté. Ce choix n’est pas anodin, l’acteur principal qui incarne le capitaine Achab est interprété par Gregory Peck, Edmond en est un sosie presque parfait. La lutte entre le capitaine Achab et le cachalot blanc, symbolise celle du Bien contre le Mal, l’absurde et la révolte, et après tout, aussi, quelque part, l’histoire de l’Algérie.

Le drame qui marque l’inauguration de cette salle de spectacle n’est qu’un évènement de plus dans cette guerre pour l’Indépendance de l’Algérie, un parmi tant d’autres qui poussera la famille

Enthoven à l’exil. Ce film distingué par Jean-Paul Enthoven l’ était aussi par le fait de vouloir rendre hommage à Albert Camus, dont le fantôme sympathique vient hanter quelques passages du livre.
 Lecture émouvante , une nostalgie se dégage de ces lignes avec un l’humour acéré qui cache bien des choses : la part de courage de l’écrivain pour affronter de façon romancée ses souvenirs, pour « assumer cette part de moi que j’ai vainement tenté d’expulser, me réconciliant avec tout le tintamarre d’une enfance […]”

Miguel : Le mage du Kremlin – Giuliano da Empoli – Gallimard

Voilà un livre choc que la presque totalité des participants au club lecture avaient déjà lu. Tous ont indiqué combien ce livre était important pour comprendre ce qui nous arrive dans un contexte de montée des tensions extrêmes sur notre continent.

Ce livre parfaitement bien écrit et très documenté raconte de façon romanesque la rencontre de l’auteur avec Vadim Baranov (en réalité Vladislav Sourkov) qui homme de spectacle et de télévision va devenir pendant plus de 10 ans le conseiller le plus proche de Vladimir Poutine.

 Baranov se livre totalement et raconte comment il a accompagné Poutine dans la prise de pouvoir et la volonté de celui-ci de remettre de l’ordre et de l’autorité (verticalité dit-il) dans une Russie en déshérence après les années Boris Eltsine.

On vit au fil des pages, de l’intérieur la façon dont Poutine a construit avec grand cynisme son personnage puis son autorité de fer avec sa volonté de déstabiliser l’occident. Pour rendre l’honneur à la Russie.

C’est glaçant de réalisme et éclaire tous les événements actuels (guerre en Ukraine, agressions sur les réseaux sociaux, désinformation, liquidation des opposants)

Écrit avant l’invasion de l’Ukraine, tout dans ce roman est prémonitoire et invite à une profonde réflexion sur la nature du pouvoir et de l’autorité. Démocratie, dictature, risques d’affrontements, rôle des nouvelles technologies…tout y est. Après avoir lu le livre on ne voit plus les choses comme avant.

Les membres du club littéraire auraient aimé que le prix Goncourt 2022 soit attribué à ce roman (il a tout de même eu le prix de l’Académie française). Cela n’a pas empêché que ce livre soit en tête des ventes dans les librairies. Vite si vous n’avez pas lu le livre, lisez-le, on en reparle !

José : Différends – Frans de Waal- Les liens qui libèrent

 Ce livre, paru en 2022, a été choisi par José pour rendre hommage à Franciscus Bernardus Maria de Waal, plus connu sous le nom de Frans de Waal, un primatologue et éthologue néerlandais né le 29 octobre 1948 à Bois-le-Duc, qui vient de décéder à 75 ans, le 14 mars 2024 à Atlanta.

Ce livre est un vibrant manifeste pour l’égalité des genres. Pour établir si les préférences et les comportements humains que nous qualifions parfois de genrés ont une origine biologique, Frans de Waal les compare avec ceux d’autres primates, non affectés par nos biais culturels.

 C’est un récit passionnant, riche, complet sur la vie sociale des singes, Chimpanzés, Bonobos et Gorilles, qui ébranle certaines vérités sur la masculinité et la féminité, l’autorité, le pouvoir, la coopération, la compétition, les liens filiaux et les comportements sexuels. De nombreuses questions donc, assorties de réponses pertinentes, claires, argumentées, nuancées et s’il ne conteste pas l’existence de différences entre les sexes, le scientifique affirme qu’il n’y a rien de « naturel » à ce que les hommes exercent une domination et que la biologie ne permet pas de les expliquer.

Lectures Partagées – Mars 2024 : Spécial “Journée de la Femme”

Ce club lecture était dédié à la Journée des droits de la Femme. Une magnifique soirée !
Les onze livres présentés ont mis en évidence, chacun à leur manière, le combat des femmes pour plus de liberté, de justice, d’égalité ains que leur rôle dans la société.

Livres présentés
Animation : Marlies / Compte rendu :  Miguel Couralet et Michèle Robinet.

Miguel : Une farouche liberté, Gisèle Halimi, la cause des femmes – Annick Cojean – Steinkis
Cette biographique graphique raconte la vie et les multiples combats de Zeiza Gisèle Élise Taïeb qui deviendra la célèbre avocate féministe Gisèle Halimi (1927-2020).
Elle naît en Tunisie à La Goulette dans une famille juive séfarade. Sa mère ne l’aime pas alors que le père éprouve une grande affection pour sa fille. Très tôt, elle se rebelle pour une juste cause : ne plus être dans l’obligation servile de servir ses frères et pouvoir lire à sa guise. Premiers combats gagnés grâce à une grève de la faim.
Elle devient bachelière, refuse à quinze ans un mariage arrangé, obtient l’autorisation de poursuivre ses études en France. Ce sera le droit, pour réaliser sa vocation, être avocate. Quand elle doit prêter serment en déclarant qu’elle défendra les bonnes mœurs selon la formule consacrée, elle annonce refuser de prononcer ces mots mais doit se plier à cette obligation bien à regret. Elle en fera un cheval de bataille, plus tard, cette mention sera supprimée.
 Un premier mariage de courte durée, un second dont elle conservera le patronyme de son époux Halimi. Elle se remarie une troisième fois avec Claude Faux, secrétaire de Jean-Paul Sartre. Il sera son grand soutien.
 Gisèle Halimi, c’est soixante-dix ans de lutte acharnée, de combats indéfectibles, de passions, d’engagements au service de la justice, pour faire évoluer les droits, pour les femmes, les faibles, les opprimés : elle défendra les indépendantistes tunisiens et algériens (militants du FLN), elle combattra, souvent aux côtés de Robert Badinter, pour la liberté sexuelle, celle des femmes (droit aux contraceptifs, à l’avortement et pour une répression du viol plus forte…), celle des homosexuels (Loi Forni ), la parité politique, la dépénalisation de la peine de mort…
Une BD instructive qui a du sens. A lire et à offrir sans modération…

Isabelle : Le mythe de la virilité- Olivia Gazalé – Robert Laffont
Avec une forte détermination Isabelle a présenté un livre choc : Le malaise masculin ressenti par certains, pour réel qu’il soit, ne vient pas de la révolution féministe, si récente dans l’histoire de l’humanité, mais de celle qu’Olivia Gazalé (philosophe, essayiste) appelle « la révolution viriarcale »
Cette révolution a mis fin au monde mixte qui a débuté entre le 3ème et le 1er millénaire avant J.C., un monde tant oublié, où les femmes avaient des droits et des libertés et où le féminin était respecté et même divinisé.
 Pour asseoir sa domination sur le sexe féminin, l’homme a alors théorisé sa supériorité en construisant le mythe de la virilité qui a ainsi légitimé la minoration de la femme et l’oppression de l’homme par l’homme. L’idée centrale de cette domination est que la nature a créé deux pôles diamétralement opposés : la femme par nature fragile, passive, irrationnelle, soumise et l’homme naturellement fort, courageux, volontaire, dominateur. Le mythe de la supériorité mâle est devenu le fondement de l’ordre social, politique, religieux, économique et sexuel, en valorisant la force, le goût du pouvoir, l’appétit de conquête et l’instinct guerrier. Les injonctions sexistes telles « Sois un homme, mon fils » (Rudyard Kipling), « Arrête de pleurer »…, qui entourent la virilité montrent que celle-ci n’est pas innée, mais construite, elles asservissent les femmes, mais condamnent aussi l’homme à réprimer ses émotions, à redouter l’impuissance et à honnir l’effémination, tout en cultivant le goût de la violence et de la mort héroïque. Ainsi, l’homme s’est piégé lui-même en devant sans cesse prouver sa puissance, sa réussite sous peine d’être méprisé ou moqué en raison de son manque de virilité. Pas de supériorité possible sans un autre inférieur à mépriser ou humilier.
Olivia Gazalé conclut que le modèle traditionnel de virilité est un modèle d’exclusion et de ségrégation.
La solution ? Elle ne peut venir que d’un changement de regard et plus radicalement de la déconstruction des stéréotypes de ce système de domination tant du côté du dominant que du dominé car tous deux y sont intimement liés.
Un travail à mener conjointement entre les deux sexes.
C’est un essai, dense, foisonnant avec de nombreuses références étymologiques intéressantes, superbement présenté par Isabelle.

Olivier : Le Blé en herbe – Colette- Flammarion
Colette est une écrivaine très prisée par Olivier. Une femme moderne qui a su acquérir son indépendance financière, sa liberté de vie par son travail d’écriture et ses différents métiers.
 Publié en 1923, ce roman s’impose par son audace et son anticonformisme. Philippe, Phil, 16 ans, et Vinca, 15 ans, sont amis depuis l’enfance, ils se retrouvent tous les ans, lors des vacances en Bretagne dans une maison qui abritait jusqu’alors leurs jeux, leur insouciance, leur complicité. Mais, cette année, l’enfance disparaît laissant place à l’adolescence et à la découverte de la sexualité et de la sensualité.
Phil va avoir une première expérience charnelle avec une femme séduisante bien plus âgée que lui. Vinca devinera tout et pour sauver Phil, tenté par le suicide, se donnera à lui. Elle deviendra femme.
A partir de 1921, Colette, la quarantaine, va vivre une relation jugée scandaleuse avec son beau-fils, Bertrand de Jouvenel, seize ans, l’âge de Phil, alors que de son côté, son mari la trompe sans complexe. Cette relation qui dure cinq années lui inspire le roman, en nourrit les thèmes et les situations.
Le Blé en herbe c’est un hymne à la femme, celle que devient Vinca, à sa sensibilité délicate, à sa générosité. C’est écrit avec pudeur, nuance, subtilité.
Olivier nous invite aussi à lire ou relire La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges, l’une des pionnières françaises du féminisme.  

Sarah : On arrive dans la nuit – Marceline Loridan-Ivens – Flammarion
Le 13 février 1944, Marceline, née en 1928, adolescente, frondeuse, une tornade rousse, est arrêtée avec son père, dans leur maison du Vaucluse à Bollène. Emprisonnée ( elle le sera dans un premier temps à Avignon dans la prison Ste Anne) elle sera déportée d’abord à Auschwitz, puis à Bergen-Belsen et Theresienstadt. Arrivée dans la nuit par le même convoi que Simone Veil, dont elle devient l’amie, elle connaît la barbarie, la faim, l’angoisse, les travaux forcés, les cadavres qui s’entassent… Dans ce témoignage recueilli à l’initiative de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah et de l’INA, en 2005, Marceline Loridan-Ivens raconte son quotidien inhumain dans les camps, les souffrances individuelles, collectives où chaque journée passée est un jour volé à la mort. Un petit bout de femme, mais au caractère bien trempé qui fera tout pour paraître plus grande et plus âgée afin d’échapper à la chambre à gaz. 
Libérée à la fin de la guerre elle ne cessera de témoigner sur les évènements vécus, dire l’indicible horreur, combattre l’antisémitisme toujours vivace. Elle refusera d’être mère ne voulant pas que ses futurs enfants revivent le drame qu’elle vécut et qu’elle estime devoir inexorablement se reproduire.
 C’est un récit sincère, un témoignage poignant sans langue de bois, c’est une lecture émouvante.

Laurence : Trencadis – Caroline Deyns- Quidam
Une biographie romancée, une sorte de documentaire original de Niki de Saint Phalle. Le livre est fait d’éclats de vie, de fragments assemblés racontés par Caroline Deyns, avec un style percutant et foisonnant avec ses amours, ses failles, son art, comme un trencadis (espagnol trencar : briser, du catalan facile à briser), un type de mosaïque à base d’éclats de céramique, souvent recyclé, typique de l’architecture moderniste catalane, cher à Antonio Gaudi et Joseph Maria Jujol. 
Des morceaux de vie, des tesselles de chaos et de bonheur, celles d’une femme ardente, d’une artiste remarquable, iconoclaste, complexe, insoumise, originale, marginale féminine et féministe. Un récit qui permet de mieux comprendre, dans le désordre, son talent coloré, ses gigantesques nanas callipyges, ses traumatismes venus de l’enfance (le viol par son père à 11 ans), sa profonde dépression, ses tentatives de suicide, ses prises de risque, ses engagements pour le droit des noirs américains, la libération des femmes du patriarcat, son militantisme au sein de l’association AIDES.
 Une présentation puissante, atypique, une plume ciselée. Une belle réussite parfaitement racontée par Laurence très enthousiaste.

Didier : L ‘œuvre de dieu, la part du diable John Irving- Seuil
 En préambule, Didier tient à remercier Christian de lui avoir fait connaître l’écrivain italien
 Erri de Luca dont il avait été question lors du club de lecture précédent.
Avec John Irving, nous nous trouvons immergés dans le Maine, dans les années 1930/1950. Wilbur Larch, gynécologue gère un orphelinat et doit se livrer à une double mission : mettre au monde des enfants qui seront abandonnés, de futurs orphelins, c’est ” l’œuvre de Dieu ” et interrompre, en toute illégalité, des grossesses non désirées, c’est ” la part du Diable ». Il se prendra d’affection pour un jeune orphelin, Homer, qui grandira dans ce centre, faute de trouver une famille d’accueil. Il deviendra médecin accoucheur, opposé à l’avortement. Pour lui, les femmes devraient avoir le choix d’avorter ou non, mais lui a le choix de refuser de le faire lui-même.
Didier nous lit un passage mettant en exergue ce dilemme :

« Si l’avortement était légal, tu pourrais te permettre de refuser – en fait, étant donné tes convictions, tu devrais refuser. Mais tant que l’avortement est illégal, comment peux-tu dire non ? Comment peux-tu te permettre un choix en la matière, alors que tant de femmes n’ont pas la liberté de choisir elles-mêmes ? Les femmes n’ont aucun choix. Je sais que tu estimes cela injuste, mais comment peux-tu – surtout toi, avec ton expérience -, comment peux-tu te sentir libre de refuser d’aider des êtres humains qui ne sont pas eux-mêmes libres d’obtenir d’autre aide que la tienne ? Il faut que tu les aides parce que tu sais comment les aider. Demande-toi qui les aidera si tu refuses. »

 John irving, sans prendre parti pour ou contre l’avortement, nous invite à réfléchir sur les positions des deux camps. D’un côté, le Docteur Larch incarne le docteur désirant avant tout respecter son serment : protéger, soigner, ce qui pour lui revient également à mettre fin à des grossesses non désirées… de l’autre, Homer Wells, pour qui fœtus rime avec être vivant.
Un gros roman, plus de 800 pages, qui parle d’amour, raconté avec émotion, humour. Un sujet d’une brûlante actualité. Un livre qui a passionné Didier.

Claude : les cellules buissonnantes- Lise Barnéoud – PREMIER PARALLÈLE
Claude nous a présenté un livre surprenant que lui avaient conseillé nos libraires.
Lise Barnéoud est une journaliste scientifique qui collabore régulièrement au Monde, à Science vie...
Nous sommes tous des chimères ! (en biologie, organisme constitué de deux ou plus rarement de plusieurs variétés de cellules ayant des origines génétiques différentes)
 Lorsque nous étions, fœtus, dans le ventre de notre mère, à une échelle plus ou moins importante, se sont échangées des cellules entières entre elle et nous. Si elle a reçu de notre part des cellules elle nous a potentiellement transmis non seulement les siennes, mais aussi celles qu’elle avait peut-être reçues de sa mère, grand-mère, aïeule plus lointaine ou d’un fœtus précédemment. Ce phénomène biologique révolutionnaire est appelé microchimérisme et vient bousculer les limites de l’individu.
 Dans certains cas, ces cellules « étrangères » qui passent de la mère au fœtus, peuvent venir constituer tout ou partie d’un de nos organes, dont elles participent pleinement au fonctionnement. Pour le meilleur (possibilités de greffes, de dons d’organes) ou pour le pire (maladies orphelines…) 
 Une enquête riche et minutieuse, un excellent livre de vulgarisation scientifique qui offre une lecture passionnante, de haut vol, mais qui devrait rester accessible et compréhensible pour le commun des lecteurs. Avec toute sa pédagogie habituelle Claude a su parfaitement nous captiver.

Solange : Françoise – Laure Adler- Grasset
Une excellente et passionnante biographie de Françoise Giroud, une femme de tous les combats, pour Solange un récit, nous dit en commençant Solange, bien meilleur que celle de Christine Ockrent Françoise Giroud, une ambition française.
Le livre, bien documenté, sans concession, raconte la vie de cette femme engagée qui sut se battre dans un monde masculin celui du journalisme et du cinéma, et imposer ses convictions, une vie faite de bonheur et de drames (décès de son fils), de lumière, d’ombres, de failles (tentative de suicide après la rupture avec JJSS, envoi de lettres anonymes antisémites à son épouse…)
Un récit qui nous livre un éclairage particulier sur sa vie, femme de fer, pionnière dans le féminisme, femme engagée (Action contre la faim, droit pour mourir dans la dignité…), femme fragile et complexe par bien des côtés, une femme qui a vécu tous les évènements de son époque : L’Occupation allemande, la guerre d’Algérie, la fin de la IVe République, Mai 68, le gouvernement
Giscard, celui de Mitterrand, les mouvements humanitaires, féministes, culturels. Elle fut nommée, la première, secrétaire d’Etat à la condition féminine, puis secrétaire d’État à la culture.                                                         

Jeannine : 7 femmes – Lydie Salvayre- Perrin

Jeannine nous livre la quatrième de couverture de ce livre qui résume bien le livre.
« Sept femmes. Sept figures emblématiques de la littérature qui ont follement investi leur vie. Leur relation à l’écriture est passionnelle, et, pour certaines d’entre elles, les a conduites au suicide. Singulières et exigeantes, elles transcendent leur douleur personnelle dans l’œuvre. Leur rapport au quotidien, qu’elles considèrent médiocre et sans intérêt, est vécu comme tragique. Mais ce “quotidien” n’est-il pas aujourd’hui celui qui a marqué l’Histoire ? Celui du Paris d’avant-guerre, des Années folles, de la Russie stalinienne… Comment retranscrire une œuvre au travers de la vie même de son auteur ?
Lydie Salvayre s’adonne à cet exercice de portraitiste en choisissant celles dont la lecture a marqué sa vie et par là-même fécondé son œuvre : Emily Brönte (1818-1848), Colette (1873-1954), Virginia Woolf (1882-1941), Djuna Barnes (1892-1982), Marina Tsvetaeva (1892-1941), Ingeborg Bachmann (1926-1973) et Sylvia Plath (1932-1963).
Dérangeantes, scandaleuses, elles ont témoigné à leur façon du monde dont elles ont autant souffert qu’elles ont contribué à la façonner… Leurs œuvres sont désormais des monuments littéraires. Lydie Salvayre les fait revivre en écrivant leur histoire, leur beauté, leur démesure, leur rébellion mais aussi leur côté sombre et leur désespérance. »
 Ces sept femmes passionnées, sept écrivaines combattantes, ont marqué chacune leur temps de façon indélébile, elles sont, et certains de leurs personnages aussi, pour Lydie Salvayre des modèles et des inspirateurs / inspiratrices.

Marlies : Le portrait de mariage – Maggie O’ Farrell – Belfond
 Cette britannique est l’une des auteures la plus traduite dans le monde qui met l’accent, dans ses œuvres sur la psychologie de ses personnages.
Ce roman, fait d’analeptses et de prolepses, nous entraîne dans la Renaissance italienne aux côtés de Lucrèce de Médicis, troisième fille du duc de Toscane, Côme 1er. Il raconte la naissance de Lucrèce jusqu’au début de son mariage avec le duc Alfonso II d’Este et ces moments que la toute jeune femme pense être ses dernières heures.
Lucrèce a posé pour le portrait de mariage, une image figée pour l’éternité. Maintenant, elle doit donner un héritier à son époux polymorphe, aimable, avenant, autoritaire et cruel, sa vie en dépend.
Dès les premières pages, Lucrèce, femme fragile et sensible, un très beau personnage nous confie ses craintes : son mari veut la tuer, voilà deux ans qu’elle est mariée, elle n’est toujours pas mère. Cela se fera quand, comment, où ? Elle s’interroge et attend, car tel est son destin. Elle laisse parler son cœur.
Dans une note finale, l’auteure explique qu’elle a pris quelques libertés avec la réalité historique, Lucrèce, est probablement décédée de tuberculose.
 Le portrait de mariage reste une histoire bien construite, aux accents féministes, qui raconte le destin d’une femme opprimée, instrumentalisée dès sa naissance, puisque sa seule utilité sera de procréer. Une histoire romancée qui évoque elle aussi le mythe de la virilité.

Michèle :La fille de l’ennemi publicLelia Dimitriu. Grasset
C’est un livre écrit par une femme, Lélia Dimitriu, qui témoigne de sa vie de jeune femme, de son ardente ambition de liberté, un récit qui se déploie comme une grande fresque historique.
Une autobiographie rédigée à 84 ans. Une entrée dans le monde des écrivains tardive qui n’est pas anodine. Elle en prend l’initiative le 24 février 2022 le jour où l’armée russe envahit l’Ukraine, il lui faut rédiger ses souvenirs tous imprescriptibles, qu’elle gardait au tréfonds de sa mémoire, car ressurgissent colère et dégoût, deux sentiments ressentis lors de l’invasion russe de son pays natal, la Roumanie.
 Après les accords de Yalta de février 1945, la Roumanie subit le joug du régime stalinien. La prospère société de fabrique de meubles de son père Costa Cristu est nationalisée, la famille au ban de la société devient miséreuse. Les gouvernements successifs d’Ana Pauker, de Gheorghe Gheorghiu-Dej, Nicolae Ceaușescu seront néfastes pour le pays mené à la baguette, voir à la kalachnikov. Les conditions déplorables de la vie quotidienne, la privation de liberté et les menaces constantes de la Securitate. L’émergence d’une nomemklatura maffieuse, les apparatchiks incultes et incompétents, le renouveau de l’antisémitisme, donneront, très tôt à Lélia l’envie de s’exiler pour la France et vivre à Paris.
Dans ce récit, elle déroule son enfance, sa jeunesse avec réalisme, humour, poésie, ses premiers amours, dramatiques avec Milo Dragu, la confrontation à l’épreuve douloureuse de l’avortement, ses choix de vie, son combat pour pouvoir quitter son pays natal asphyxié par la dictature. Enfin à 28 ans, le 15 juin 1967, elle peut recommencer une nouvelle vie à Paris, obtenir un DEA, travailler pour l’Institut national de recherche pédagogique. Être LIBRE.
Un témoignage intéressant d’un point de vue humain et historique malgré quelques passages un peu trop romancés, l’écriture est alerte agréable, sincère.