Animation & Compte-rendu : Miguel Couralet et Michèle Stubbe-Robinet

Une soirée dense et conviviale, mêlant découvertes, retours d’auteurs et coups de cœur personnels. De nouvelles venues et des fidèles se sont retrouvés pour partager leur passion de la lecture et ouvrir, chacun à sa manière, de nouveaux horizons littéraires. Une rencontre qui a permis de naviguer entre les genres et les époques, de l’essai à la fiction, de la philosophie à la bande dessinée.

Michèle 
« Vivre », Robert Badinter, Flammarion
Ce livre Vivre réunit deux interviews inédites accordées par Badinter. Il nous permet d’apprécier encore plus l’homme, ses qualités morales et intellectuelles : intelligence, sincérité fierté, pugnacité, fraternité, solidarité, courage, la justice.
– le premier entretien a été enregistré dans le cadre de la collecte « Mémoires de la Shoah, initiée par la Fondation pour la mémoire de la Shoah et l’Ina (2006), où il convoque ses souvenirs d’enfance et d’adolescent, dont l’arrestation et la déportation de son père alors qu’il n’a que 14 ans.
-le second, dans le cadre de la collecte « Passé composé, figure du siècle » de l’Ina (2023), ici c’est l’homme de l’abolition qui livre son dernier entretien.
Des récits intimes poignants pleins de franchise, des témoignages précieux pour l’Histoire.

Michèle
« Libres et égaux… L’émancipation des Juifs 1789-1791 » Robert Badinter – Fayard
Un traité de 250 pages très bien documenté, offre une lecture concise et éclairante sur l’émancipation des Juifs. Badinter y dresse un état des lieux avant 1789, souligne les ambiguïtés du Siècle des Lumières face à l’antijudaïsme traditionnel, et rappelle combien les principes proclamés par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen restaient encore à conquérir pour les Juifs de France.
Michèle a insisté sur l’importance civique et morale de ce texte : un rappel salutaire que la fraternité et l’égalité ne se décrètent pas, elles s’acquièrent.
Recommandation de Michèle : Pour ceux qui ont lu le pamphlet d’Olivier Gloag Oublier Camus, il faut lire absolument Retrouver Camus de Faris Lounis et Christian Phéline (Le bord de l’eau). Admirable !

Olivier
« La joie de l’ennemi », Julien Delmaire (Grasset)
Lauréat du Prix du roman Fnac 2025, La joie de l’ennemi s’impose comme un western littéraire sombre, poétique et habité. Julien Delmaire y mêle tragédie intime et critique sociale dans une Amérique du Sud traversée par la ségrégation et les fantômes du racisme.
Olivier a souligné la beauté âpre du texte, sa tension narrative et la puissance de ses personnages. Jeffrey, brisé par les traitements psychiatriques imposés par ses parents racistes, et Seymour, son ami noir, composent un duo inoubliable où la fidélité se heurte à la folie et à la violence.
Cette œuvre, riche en symboles, interroge la rédemption et la part d’humanité dans un monde abîmé. Olivier y a trouvé une forme d’espérance dans la fragilité de l’amitié, et une réflexion sur la mémoire, la culpabilité et la survie.

Olivier
« Échos originels », Richard Rasa (Le Lac aux fées)
Un roman d’anticipation ambitieux, où science et histoire s’entrelacent. En 2049, une équipe d’historiens et d’archéologues mandatés par le CODE effectue un saut dans le temps : une exploration vertigineuse du passé pour interroger la nature de l’Histoire elle-même.
Olivier a mis en avant la richesse narrative du roman : les points de vue alternent entre plusieurs époques et personnages, créant un jeu de miroirs sur la mémoire, la connaissance et la transmission.
Au-delà du récit futuriste, le livre propose une méditation sur le rapport entre les civilisations et la trace qu’elles laissent. Pour Richard, c’est un texte stimulant qui marie plaisir de lecture et réflexion philosophique.

Christian
« Blanc », Sylvain Tesson (Gallimard)
Ce récit relate la traversée hivernale des Alpes, de Menton à Trieste, menée par Tesson et son compagnon de cordée Daniel du Lac entre 2018 et 2021. Une aventure physique et spirituelle.
Christian a retrouvé dans ce texte le goût de l’effort, la solitude des cimes et la beauté brute du monde. L’auteur, dans sa quête d’absolu, transforme chaque étape en méditation sur la fragilité humaine et la résistance intérieure.
Au-delà du voyage, Blanc est pour lui une recherche d’apaisement : une manière de se dépouiller de l’inessentiel, de retrouver le silence et la liberté.

Simone
« La douleur », André Richaud (Grasset)
Simone a captivé l’auditoire par une présentation originale (une prouesse !) et documentée de ce roman oublié, redécouvert grâce à Camus. Publié en 1930, La douleur fit scandale : à Althen-des-Paluds, une veuve de guerre, Thérèse Delombre, tombe amoureuse d’un prisonnier allemand, sous les yeux de son jeune fils.
Elle a souligné la modernité du style de Richaud et la puissance tragique du récit. Dans cette passion impossible, l’auteur explore la honte, la compassion et la solitude, révélant une humanité déchirée.
Simone a rappelé combien ce texte a marqué Camus, qui y puisa sa vocation d’écrivain : un roman qui relie la Provence profonde aux questionnements universels du cœur humain.

Béatrice
« La nuit au cœur », Nathacha Appanah (Gallimard)
Couronné par le Prix Fémina 2025, La nuit au cœur entrelace trois destins de femmes victimes de la violence conjugale. Appanah s’inspire d’expériences vécues : la sienne, celle de sa cousine, et celle d’une autre femme, tragiquement disparues.
Béatrice a salué la justesse du ton : une écriture sobre, presque chuchotée, qui transmet la douleur sans pathos.
Elle a vu dans ce roman une œuvre de résilience, où la sororité et la parole des femmes deviennent acte de vie. Une lecture essentielle pour comprendre ce que signifie reconstruire après l’effacement.

Danielle
« L’étrangère aux yeux bleus », Youri Rytkhéou (Actes Sud)
Une jeune ethnographe russe débarque en 1947 à Ouelen, au bord du détroit de Béring, pour vivre avec une tribu tchouktche d’éleveurs de rennes.
Danielle a loué la force poétique et la sincérité de ce roman d’amour pour un peuple disparu. Elle a aussi souligné la qualité exceptionnelle de la traduction, qui restitue la musicalité du texte original.
Ce livre, à la croisée de l’ethnographie et de la méditation spirituelle, interroge la mémoire, la passion et la perte. Danielle y voit un plaidoyer pour les derniers chamanistes et pour la sagesse des peuples premiers.

Catherine
« Nérona », Hélène Frappat
Catherine a évoqué une farce grinçante autour du thème des migrants : une écriture cinématographique, rythmée, presque visuelle.
Elle s’interroge sur la démarche de certains écrivains contemporains qui semblent vouloir rivaliser avec les réseaux sociaux par une langue déstructurée ou familière.
Sa présentation, vive et pleine d’humour, a ouvert un débat sur les mutations du style et sur la place de la littérature dans un monde saturé d’images.

Geneviève
« Penser en Chine », collectif dirigé par Anne Cheng (Gallimard)
Ce recueil d’essais réunit de grands penseurs autour du dialogue entre philosophie chinoise et pensée occidentale. Anne Cheng est la fille de François Cheng.
Geneviève a apprécié la profondeur et la diversité des approches : un panorama intellectuel exigeant, qui donne à voir la richesse d’une pensée encore trop méconnue.
Elle a toutefois regretté un certain jargon universitaire, qui rend parfois la lecture ardue, tout en soulignant la portée culturelle et politique de cet ouvrage stimulant.

Barbara
« Du thé pour les fantômes », Chris Vuklisevic (Gallimard)
Une petite merveille d’« urban fantasy » ancrée dans l’arrière-pays niçois : deux héroïnes, Félicité et Agonie, évoluent entre réel et surnaturel.
Barbara a été charmée par le souffle poétique du récit, son humour et sa tendresse.
Elle a souligné la façon dont Vuklisevic célèbre la Provence à travers un imaginaire fantastique lumineux, où le merveilleux dialogue avec la réalité.

Jacky
« Les éléments » (Air, Terre, Eau, Feu), John Boyne (Philippe Rey)
Couronné par le Prix Fémina étranger, ce roman-fresque entrelace quatre récits autour de la culpabilité et de l’innocence.
Jacky a admiré la construction subtile de l’ensemble, la force émotionnelle des personnages et la virtuosité de l’écriture.
Pour lui, John Boyne signe une méditation universelle sur la condition humaine : entre faute et rédemption, une œuvre à la fois morale et bouleversante.

Miguel
« Spinoza, à la recherche de la vérité et du bonheur », Philippe Amador (Dunod)
Sous la forme d’une bande dessinée claire et vivante, Philippe Amador retrace la vie et la pensée du philosophe qui est développée dans son “ Traité de la réforme de l’entendement”.
Spinoza est un auteur difficile mais tellement inspirant et qui peut-être si utile pour la conduite de nos vies.
Miguel a souligné combien cette BD qui suit quasiment mot à mot le traité rend accessibles les démonstrations du philosophe : une invitation à penser par soi-même, à chercher la vérité en soi pour conquérir la liberté intérieure.
Une deuxième BD raconte de même façon la grande œuvre de Spinoza : “ L’ éthique”.
Enfin Miguel a rappelé l’intérêt de lire la biographie romancée de Spinoza écrite par J R Dos Santos : « Spinoza : L’homme qui a tué Dieu » (Pocket). Un titre provocant et peu adapté mais un livre passionnant qu’il avait présenté lors d’une précédente soirée littéraire.

José
 « Une livre », Fabrice Gaignault, (Arléa)
Gaignault raconte comment un livre – Remorques de Roger Vercel – a aidé Primo Levi à survivre à l’enfer des camps : un hommage bouleversant à la lecture comme acte de vie.
José a été émue par cette réflexion sur le pouvoir salvateur des livres. Elle y voit la preuve que lire, c’est continuer à respirer quand tout semble perdu.

« La tournée », Maxime Rossi (L’Iconoclaste)
Avec La tournée, elle a salué le regard tendre et lucide de Maxime Rossi : le parcours d’un libraire devenu infirmier, plongé dans la réalité d’un monde rural en déclin mais toujours riche d’humanité.

Marlies
« Le voyage d’Octavio », Miguel Bonnefoy, (Payot & Rivages)
Le voyage d’un analphabète vénézuélien, qui part à la découverte de son passé et de son pays.
Marlies a souligné la beauté de la prose de Bonnefoy : sensuelle, colorée, pleine d’humour et de poésie.
Elle a vu dans ce conte initiatique une célébration du savoir, de la culture et de la dignité retrouvée : une traversée lumineuse où l’homme se réconcilie avec sa propre histoire.

Soirée Lectures Partagées du 7 novembre 2025